Avec Fiorilla d’Il Turco in Italia, qu’elle incarne au Festival d’Aix-en-Provence, à partir du 4 juillet, dans une nouvelle production de Christopher Alden, la soprano d’origine russe retrouve un compositeur particulièrement cher à son cœur. Rossini, en effet, a été le fil conducteur de sa carrière, depuis ses débuts au Festival de Pesaro, en 2006, avec des rôles aussi exigeants que Desdemona, Matilde di Shabran ou Aldimira dans Sigismondo.
Pour vous, finalement, Aix-en-Provence, c’est plutôt un retour qu’un début…
J’ai participé aux spectacles de l’Académie européenne de musique, en 2003, la fameuse année de la grève des intermittents : pendant la première de La traviata, on entendait le chahut dehors… Ensuite, en 2010, il y a eu Le Rossignol de Stravinsky, mais c’était au Grand Théâtre de Provence. Je n’ai donc pas encore expérimenté l’acoustique du Théâtre de l’Archevêché car, en ce moment, nous répétons ailleurs (1). Mais nous avons fait des essais et je pense que cela devrait aller.
Le plein air ne devrait pas vous poser de problème, puisque vous avez déjà chanté aux Arènes de Vérone…
Et aussi à celles d’Avenches ! En fait, c’est plutôt une question de nerfs. Il ne faut pas perdre son calme et ne pas se laisser impressionner par la dimension du lieu, mais chanter naturellement, sans forcer.
Comment voyez-vous le personnage de Donna Fiorilla ?
Je ne la vois pas comme une simple coquette, mais plutôt comme une jeune femme éprise de liberté. Il y a une réplique, dans les longs récitatifs du deuxième acte, où elle dit à Selim : « Je ne veux pas d’un amant qui partage son cœur entre deux femmes. » D’habitude, c’est plutôt un point de vue d’homme, du style « je ne veux pas que tu me trahisses mais moi, je peux le faire » ! Il Turco in Italia est un opéra étrange, teinté d’amertume. Superficiellement, on pourrait croire qu’il s’agit d’une œuvre buffa, mais ce n’est pas vraiment le cas. Rossini a eu énormément de chance d’avoir Felice Romani pour librettiste, comme Mozart avait eu Da Ponte… Car, tout comme Cosi fan tutte, Il Turco in Italia parle, sans toujours en avoir l’air, de choses très sérieuses. C’est un ouvrage génial pour un metteur en scène intelligent, parce qu’il y a beaucoup à imaginer. On peut le transposer, comme à Aix, dans les années 1950 ou le laisser dans son époque, avec un regard sociologique. Fiorilla est un rôle très long et très exigeant, notamment avec cet air serio placé juste avant le dénouement. Comme j’ai toujours aimé la difficulté, j’ai décidé, en accord avec Marc Minkowski, de chanter pour la reprise une version alternative, avec des variations extrêmement virtuoses. En fait, j’adore ce personnage : il permet de s’amuser, mais aussi de montrer de quoi on est capable. Et d’un point de vue vocal, il y a tout ce dont on peut rêver ! Je crois que depuis les représentations d’Amsterdam, en 2012, je me le suis vraiment approprié. Il faut revenir sur les œuvres pour les faire siennes. C’est comme avec Gilda, l’été dernier, à Vérone ; Leo Nucci qui, quatre ans plus tôt, avait été mon premier Rigoletto, m’a dit qu’il sentait que j’étais réellement entrée dans le rôle, mais il est vrai qu’entre-temps, j’avais donné soixante-dix représentations !
Votre carrière est très liée à Pesaro. Vous y avez déjà interprété pas moins de six rôles rossiniens…
En effet, j’ai débuté au Festival, en 2006, avec deux rôles : Contessa di Folleville et Corinna, en alternance, dans Il viaggio a Reims. Ont suivi Desdemona (Otello, 2007), Giulia (La scala di seta, 2009), Aldimira (Sigismondo, 2010) et Matilde di Shabran, il y a deux ans. Que des raretés ! Cela doit être mon destin, chanter ce que les autres ne peuvent pas – ou ne veulent pas – faire…
Il semble que, depuis quelque temps, vous vous orientiez vers des rôles plus dramatiques…
Oui, mais avec prudence. J’ai cette particularité d’avoir une voix très étendue, et j’y tiens. Je possède un véritable registre grave et je monte facilement jusqu’au contre-mi bémol… Il y a cinq ans, j’allais encore jusqu’au contre-si bémol, mais qui en a besoin ?
En février 2015, vous chanterez La traviata à l’Opéra de Lausanne, dans une reprise de la production de Jean-Louis Grinda, créée à Monte-Carlo…
En fait, j’aurais pu aborder Violetta bien plus tôt, avant même Gilda, car j’en ai toujours eu les moyens vocaux. D’ailleurs, j’ai souvent chanté les grands airs en concert. Simplement, il me fallait la maturité nécessaire pour maîtriser la totalité du personnage, très exigeant et très exposé. Pour un lyrique léger d’origine, c’est un rôle à aborder prudemment, car si le premier acte est facile, il y a les deux derniers à assurer. Maintenant que j’ai mûri mentalement, je me sens prête.
(1) Cet entretien a été réalisé à Aix-en-Provence, le 7 juin 2014.