À 73 ans, le baryton italien déborde de projets, à commencer par la version de concert d’I due Foscari qui l’attend à l’Opéra de Marseille, les 15 et 18 novembre, suivie d’une reprise de Rigoletto au Teatro Real de Madrid, le 30. Entré dans la carrière à une époque où les chanteurs originaires de la Péninsule occupaient encore une place de choix sur les affiches des grands théâtres internationaux, il s’est petit à petit retrouvé seul, ou presque, à porter le flambeau d’une tradition vieille de quatre siècles. Tout ce qu’il a appris, il a heureusement décidé de le transmettre. Non pas à travers des cours de chant, mais en se faisant metteur en scène, pour apprendre aux jeunes le b.a.-ba du métier.
Nous nous rencontrons à Plaisance où, à partir du 9 octobre (1), vous mettez en scène L’amico Fritz de Mascagni, au Teatro Municipale…
C’est ma troisième « messa in scena » d’opéra, après Luisa Miller et L’elisir d’amore, déjà à Plaisance. Je tiens au mot « messa in scena » car, en italien, il n’a pas les mêmes connotations que « regia », alors qu’en français, ils se traduisent tous les deux par « mise en scène ». Je déteste le « Regietheater » et tous ceux qui essaient d’imprimer leur propre démarche au détriment des volontés de l’auteur. Il y a quelques jours, le pape François l’a dit : « Il faut faire confiance au Créateur. » Toutes proportions gardées, un metteur en scène se doit de faire confiance au compositeur et de découvrir ce qu’il souhaitait. Comment ? En se documentant, en étudiant toutes les sources disponibles, en scrutant les moindres détails de la partition, aussi bien sur le plan du texte que de la musique. Il est impossible, par exemple, comme on l’a vu récemment dans La traviata, de montrer Violetta et Giorgio Germont amants… Personnellement, en tant que chanteur, je n’ai jamais voulu perdre mon temps à discuter : quand quelque chose ne me plaisait pas, je m’en allais !
Comme Luisa Miller et L’elisir d’amore, L’amico Fritz est un projet qui dépasse le cadre d’une simple mise en scène…
La distribution est effectivement constituée de jeunes chanteurs, que nous avons sélectionnés au terme d’un processus particulièrement minutieux. Pour l’opéra de Mascagni, nous avons ainsi auditionné cent cinquante candidats. Après avoir choisi les meilleurs, nous avons commencé à leur montrer comment se comporter en scène, car c’est cela le plus important. Personne ne leur a appris à jouer, ni même, tout simplement, à déclamer un texte ! Ils n’ont jamais travaillé que la technique d’émission, la respiration, hors de tout contexte dramatique. Imaginez qu’ils viennent aux répétitions en baskets ! Comment voulez-vous prendre conscience des difficultés, de l’« inconfort » d’un plateau, si vous ne répétez pas, dès le départ, avec vos chaussures de scène ? Nous leur apprenons à « faire du théâtre », nous les incitons à « dire » leurs répliques comme si elles n’étaient pas accompagnées de musique, nous leur faisons comprendre l’importance du livret. Regardez ce qui est écrit en frontispice de la partition de L’elisir d’amore : « Melodramma giocoso in due atti di Felice Romani, musica di Gaetano Donizetti. » Le premier mentionné est le librettiste, pas le compositeur ! Je crois que nous offrons à ces jeunes l’opportunité de vivre une expérience fondamentale pour leur avenir, surtout qu’après les représentations de Plaisance, la production sera reprise à Ravenne, Modène et Cosenza. Autant d’occasions pour eux de faire leurs preuves devant le public, en recevant en plus un cachet, ce que toutes les structures d’insertion professionnelle ne proposent pas. Bref, nous cherchons à redonner aux théâtres de région ce qui était autrefois leur fonction première : la formation, sans laquelle il est ensuite impossible de partir à la conquête de la Scala, du Met et du Covent Garden. Aujourd’hui, on fait débuter les jeunes directement sur les scènes les plus prestigieuses, et on s’étonne de ne plus entendre parler d’eux après quelques années de carrière ! Moi, je suis passé par le circuit des théâtres de province italiens : vingt représentations par mois, dans des maisons d’opéra toutes plus belles les unes que les autres. Le monde entier nous enviait ce système et on l’a laissé partir à vau-l’eau. Il est vrai que les subventions publiques se sont réduites comme peau de chagrin, mais il est tout aussi vrai qu’il y a eu – et qu’il y a encore ! – beaucoup de gaspillage. On soutient souvent des initiatives qui ne le méritent pas et on pénalise celles qui mériteraient d’être soutenues…