Le premier semestre sera rossinien pour le chef et violoniste français, Jean-Christophe Spinosi, fondateur de l’Ensemble Matheus, rendu célèbre par ses intégrales vivaldiennes au disque : reprise de La pietra del paragone au Châtelet, le 20 janvier, dans la production déjà présentée en 2007 ; Otello au Théâtre des Champs-Élysées, le 7 avril, puis au Festival de Pentecôte de Salzbourg, le 9 juin ; La Cenerentola, également à Salzbourg ; L’Italiana in Algeri, à Dortmund. Il rêve ensuite de revenir à Mozart et de se mesurer à Verdi…
Comment en êtes-vous venu à diriger Rossini ?
Quand Jean-Luc Choplin a pris la direction du Théâtre du Châtelet, il a demandé à me voir et m’a dit qu’il souhaitait me confier des opéras. Avais-je une idée pour un premier ouvrage ? Je lui ai tout de suite parlé de Rossini, un compositeur dont j’adore la fantaisie et la poésie, et il a accueilli cette suggestion avec enthousiasme. Nous avions d’abord pensé à un titre connu, comme Il barbiere di Siviglia, mais les délais étaient trop courts pour réunir la distribution que nous souhaitions. Nous nous sommes sentis plus libres en choisissant un titre moins célèbre, et nous nous sommes mis d’accord sur La pietra del paragone, qui est pour moi le dernier chef-d’œuvre bouffe rossinien, totalement méconnu en France. Je tenais à faire mes débuts au Châtelet avec de la gaieté, et musicalement, La pietra del paragone est une petite merveille. Auprès du public, ce n’était pas gagné d’avance, mais le mot d’ordre de Jean-Luc Choplin était « Osons ! », donc nous avons osé !
Vous étiez alors connu comme un grand défenseur de Vivaldi…
En fait, depuis l’origine, je suis un musicien « moderne » ; j’ai appris le violon moderne, la direction d’orchestre de même, mais j’ai toujours été très intéressé par le baroque et je l’ai pratiqué régulièrement. Lorsque l’occasion d’enregistrer des disques m’a été offerte, j’y ai vu la possibilité de développer un répertoire, entre autres les opéras de Vivaldi, dont tout le monde se moquait éperdument à l’époque. Un immense domaine encore vierge, dans lequel tout était à découvrir, mais aussi un moyen de faire tomber des barrières et d’éveiller la curiosité.
Mais n’était-ce pas, involontairement, une manière de brouiller les pistes ? Car le champ d’action de votre Ensemble Matheus est très large, plus qu’on ne le croit.
Oui, il s’étend jusqu’au XXIe siècle. Je ne craignais pas qu’on nous prenne pour des spécialistes de Vivaldi, mais il est vrai qu’après le succès remporté par nos enregistrements chez Naïve, on ne nous demandait plus que cela. À chaque sortie d’un nouvel album, le problème se posait ; mais comme j’aime toujours aller jusqu’au bout des choses, j’ai foncé droit devant. Pour Matheus, cette période vivaldienne a été un aspirateur à communication énorme, et je ne la regrette absolument pas.
L’étape rossinienne suivante s’est faite, toujours au Châtelet, avec Il barbiere di Siviglia, en 2011…
Encore une belle aventure ! Mais Jean-Luc Choplin m’avait dit qu’il voulait absolument qu’il y ait une reprise de La pietra del paragone ; nous en parlions régulièrement jusqu’à ce que le projet se concrétise enfin, cette saison. Pendant toutes ces années, le travail avec le Théâtre du Châtelet a été merveilleux ; nous y étions, en quelque sorte, en résidence et nous avons eu le bonheur de participer à plusieurs productions, toutes aussi excitantes les unes que les autres.
Chanter Rossini est difficile ; trouve-t-on facilement de jeunes interprètes ?
On peut heureusement en rencontrer d’excellents, même s’il faut pour cela consacrer énormément de temps à faire passer des auditions. La vraie difficulté, c’est de dénicher des gens qui non seulement possèdent une grande maîtrise vocale, mais font en sorte qu’elle soit rattachée à l’émotion ; l’assurance dans les vocalises, c’est bien, mais il est indispensable que ces vocalises soient habitées, animées par une profonde énergie. On peut avoir une technique impeccable, une voix magnifique et une belle présence, mais éprouver des difficultés dès qu’on est mis en situation sur le plateau. Il est dommage aussi que, dans de nombreux conservatoires, la musique et le théâtre soient enseignés séparément.
Mais comment obtient-on cette vérité émotionnelle ?
Je dis souvent que ce qui va faire naître l’émotion dans Mozart ou Verdi, c’est un imperceptible retard sur une note, une perversion minuscule du tempo ou de la phrase ; si l’on se borne à faire quelque chose d’impeccablement en place, on risque de passer à côté du théâtre de la vie. Alors que chez Rossini, c’est le contraire : la vie est dans la perfection, il ne faut surtout pas sortir du tempo. Tout le monde cherche à rendre le bel canto théâtralement vivant ; c’est un sujet important, auquel on doit apporter des solutions modernes.
N’est-ce pas aussi le travail du metteur en scène ?
S’il n’appréhende pas les informations dramatiques que donne la musique, il va à l’échec et ne sert à rien. Je ne citerai personne, mais j’ai rencontré des metteurs en scène n’ayant pas la moindre idée de la partition qu’on leur confiait… Il peut y avoir différentes « lectures » de Mozart, mais la dramaturgie est déjà dans la partition.