À partir du 10 octobre, la basse russe est l’une des principales têtes d’affiche de l’événement lyrique de cette rentrée 2017 : la nouvelle production de Don Carlos à l’Opéra Bastille, en langue originale française, sous la baguette de Philippe Jordan et dans une mise en scène de Krzysztof Warlikowski. Bien connu à l’Opéra National de Paris depuis ses apparitions dans Luisa Miller, Faust, Il barbiere di Siviglia et Carmen, Ildar Abdrazakov y reviendra en juin-juillet 2018, pour son premier Boris Godounov.
Plus que les grandes basses russes du passé, votre parcours et votre répertoire évoquent ceux de Samuel Ramey. Est-ce une simple coïncidence, ou le chanteur américain a-t-il été un modèle pour vous ?
Je lui dois un des moments décisifs de ma vie, où j’ai pensé : « Waouh ! C’est ça, l’opéra ! » Je suis né à Oufa, dans l’Oural. Mon frère Askar, qui a six ans de plus que moi, menait déjà une carrière sur toutes les scènes d’Europe, quand il m’a apporté une vidéo d’Attila à la Scala de Milan, sous la direction de Riccardo Muti, avec Samuel Ramey. J’ai eu un choc en la regardant… Il fallait que j’interprète ce rôle un jour ! Je suis donc parti à la chasse aux enregistrements de Samuel Ramey – CD, vinyles, et cassettes que j’écoutais dans ma voiture. J’essayais de chanter comme lui, quoique sans chercher à l’imiter. Et je me disais que, si je le rencontrais un jour, je pourrais lui faire part de mon admiration. Quelques années plus tard, quand j’ai commencé à travailler avec Riccardo Muti, j’ai croisé Samuel Ramey. J’étais tellement impressionné que j’en suis resté sans voix, et n’ai rien pu articuler d’autre, dans mon anglais alors inexistant, que : « Vous êtes fantastique ! » Je l’ai retrouvé, en février 2010, au Metropolitan Opera de New York, dans une production d’Attila, toujours avec le maestro Muti : j’incarnais le rôle-titre, et lui, Leone. J’ai gardé en mémoire chaque jour de répétition, et chacune des représentations dans ses moindres détails ! Samuel Ramey est l’une des plus grandes basses de tous les temps. Comment ne pas suivre son exemple ?
Votre art du chant est très italien…
Mon professeur à Oufa insistait toujours sur le legato. À l’époque, ma voix n’était pas grande : l’heure n’était pas encore venue d’incarner le Prince Igor ou Boris Godounov. Elle m’a donc incité à cultiver le style italien. C’est pourquoi j’ai débuté avec Rossini, Bellini, et le jeune Verdi. Puis j’ai rencontré Ernesto Palacio, qui est à présent directeur artistique du « ROF » de Pesaro. Il venait de mettre un terme à sa carrière de ténor, et de monter son agence. Il m’a pris sous son aile. C’est lui qui m’a conseillé de me concentrer sur Mozart et Rossini, plutôt que de me précipiter sur Verdi – ainsi, j’aurais l’opportunité d’être invité dans des premiers rôles, au lieu d’attendre d’être engagé comme doublure. Et ma voix a eu le temps de se développer. Mais j’adore chanter Mozart et Rossini. Et je continue !
Qu’est-ce qui est le plus difficile chez Rossini ?
La colorature, surtout pour les voix graves. Car notre émission s’appuie davantage sur la poitrine. Il faut beaucoup travailler, surtout après avoir chanté Verdi. Mais les muscles ont une mémoire extraordinaire. Au bout d’une semaine, dix jours de répétitions, les réflexes reviennent.
Vous allez interpréter Assur dans Semiramide au Met, en février-mars 2018…
Oui, mais après une série de représentations des Nozze di Figaro ! C’est une manière de préparer mon instrument, de le remettre dans la bonne position. Mozart offre la possibilité de chanter piano, même dans des salles immenses, et de jouer avec la voix.
Riccardo Muti, que vous avez rencontré très jeune, a donné un coup d’accélérateur à votre carrière…
J’avais 27 ans, lorsque j’ai ouvert, pour la première fois, la saison de la Scala sous sa direction. C’était le 7 décembre 2003, dans Moïse et Pharaon de Rossini, mis en scène par Luca Ronconi. J’incarnais Moïse, et Erwin Schrott, Pharaon. Muti traversait alors une période difficile, mais il m’a fait confiance : « Tu es comme un fils pour moi. Nous allons travailler. Ne t’inquiète pas. Je sais que l’enjeu est de taille : la critique sera là au grand complet, et le public risque d’être hostile. Reste calme, libère ton esprit, et chante ! » Cela a été une expérience merveilleuse.
Aviez-vous auditionné pour lui ?
C’est en janvier 2001 que j’ai débuté à la Scala, en Rodolfo dans La sonnambula. J’étais affiché en seconde distribution, aux côtés de Stefania Bonfadelli et Mario Zeffiri, mais je me souviens très bien de la première, qui réunissait Natalie Dessay, Juan Diego Florez et Michele Pertusi. Le directeur artistique m’a demandé d’auditionner pour Muti : j’ai chanté l’air de Banco dans Macbeth. Quelques heures plus tard, j’ai reçu un appel pour m’annoncer que le maestro m’avait apprécié et qu’il me proposait un contrat. Par la suite, nous avons fait beaucoup de productions et de concerts ensemble, dont un Requiem de Verdi, enregistré sur le vif à Chicago, en janvier 2009, qui a été récompensé par deux Grammy Awards !