Début d’année chargé pour le baryton-basse uruguayen ! Après l’Opéra Bastille, en janvier-février, il retrouve Don Giovanni, l’un de ses rôles fétiches, à l’Opéra de Monte-Carlo, à partir du 20 mars. Entre les deux, retour dans les studios d’enregistrement pour Ramfis dans une nouvelle intégrale d’Aida, chez Warner Classics, dirigée par Antonio Pappano, avec Anja Harteros et Jonas Kaufmann pour partenaires.
Commençons par Don Giovanni. Vous avez beaucoup chanté cet opéra : pas moins d’une douzaine de productions depuis 2008…
Bien plus, en réalité, car j’ai repris certaines d’entre elles, au moins deux ou trois fois : Scala de Milan, Metropolitan Opera de New York, Staatsoper de Vienne… Il y a dix-huit ans que je chante Don Giovanni et j’ai dû dépasser les trois cents représentations !
Tantôt en Don Giovanni, tantôt en Leporello…
Je continue mes allers-retours entre les deux rôles. Ça ne me pose aucun problème : pour moi, le maître et le valet sont une seule et même personne, comme Dr. Jekyll et Mr. Hyde. Leporello est facile à comprendre pour nous, car c’est un serviteur. Ses sentiments sont de toutes les époques : la peur, le froid, la faim, la soif… Il parle de choses ordinaires. Don Giovanni, lui, parle toujours de choses inattendues ; c’est pourquoi il est si fascinant. L’attrait qu’il exerce n’est donc pas uniquement une question de séduction.
Que pensez-vous de la mise en scène de Michael Haneke à l’Opéra Bastille ?
Quand j’incarne un personnage, je ne me demande jamais comment je perçois moi-même la mise en scène. Je m’intéresse seulement à ce que le public va en penser, et si elle lui permettra de mieux comprendre l’ouvrage. Car il faudrait toujours aller vers une œuvre d’art sans aucun préjugé, en préservant la capacité d’être surpris. Pour en revenir à votre question, je ne peux vraiment rien vous dire de négatif sur cette production. Pour moi, chanter à l’Opéra National de Paris est à la fois un plaisir et un honneur, et ce que je pense du travail de Michael Haneke n’a aucune importance.
En fait, je ne parlais pas d’une opinion, mais plutôt d’un ressenti. Cette production, créée en 2006, a été conçue pour un autre chanteur, Peter Mattei, et pour un autre lieu, le Palais Garnier… Comment vous y êtes-vous inséré ?
En tant qu’artiste, je considère que j’ai à la fois le devoir de prendre des risques et le droit d’imprimer ma marque sur ce que je fais. Après tout, c’est moi qui suis en scène ! Évidemment, je reste à l’écoute de ce que les gens – du moins quand ils sont compétents – ont à me dire. Je sais que plusieurs choses ont été modifiées dans la production… Avec l’assistant de Michael Haneke, nous nous sommes interrogés sur certaines situations, en particulier au final : Don Giovanni, par exemple, est-il supprimé par des êtres humains ? Et nous avons trouvé des solutions qui, me semble-t-il, sont bien adaptées au propos d’ensemble. En règle générale, je suis quelqu’un d’ouvert ; j’essaie toujours de comprendre les mises en scène, de rendre crédible ce qu’elles cherchent à révéler sur l’œuvre, mais à la fin, la seule voix que j’écoute, c’est celle du public.
Votre conception de Don Giovanni est très « sexuelle », animale même…
En réalité, après avoir beaucoup lu d’ouvrages sur le personnage et longuement essayé de le comprendre, j’en suis venu à la conclusion qu’il était… impossible à comprendre ! Plus je le joue, plus je me rends compte combien il est difficile à incarner. Don Giovanni est une sorte de « concept » que je construis peu à peu, et avec lequel je n’en ai jamais complètement fini. Est-il humain ? Est-ce une invention, un mythe, un fantasme peut-être, le rêve de tous ces gens qui ont écrit sur lui et auraient aimé rencontrer quelqu’un lui ressemblant ? Personne n’en sait rien.
Que savez-vous de la production qui vous attend à l’Opéra de Monte-Carlo ?
Pratiquement rien, en fait, et je suis impatient de la découvrir. Je ne pose jamais d’attente sur une production, j’y vais comme si c’était la première fois que j’allais jouer le rôle, raison pour laquelle je ne m’ennuie jamais en scène. Je suis sûrement celui qui s’amuse le plus, davantage même que le public ! Je m’éclate tellement que je ne devrais même pas être payé…
Ne le dites pas trop fort !
Vous savez, le monde de l’opéra semble déjà bien parti dans cette direction… Non, je plaisante ! Pendant les trois heures où je suis en scène, j’ai la chance de pouvoir m’investir complètement dans mon travail. De fait, je ne devrais même pas appeler ça un « travail » ; c’est plutôt un plaisir… et un devoir. Celui de faire oublier au public ses problèmes, de le plonger dans une musique magnifique, dont je ne suis qu’une toute petite partie.
Avant de rejoindre Monte-Carlo, vous allez enregistrer Ramfis dans une nouvelle intégrale d’Aida, dirigée par Antonio Pappano (1). Comment définiriez-vous votre voix : basse, baryton-basse ?
Au début de ma carrière, je me prenais pour une basse. J’écoutais beaucoup de disques, notamment ceux de Cesare Siepi et Nicolai Ghiaurov, et j’essayais de les imiter en chantant et en parlant, ce qui était totalement ridicule. J’ai débuté à seulement 22 ans et j’étais plutôt mal conseillé à l’époque… La première voix que j’ai entendue pouvant me servir de modèle a été celle de José van Dam et, immédiatement après, celle de Leo Nucci. Petit à petit, j’ai commencé à découvrir ma véritable identité vocale et j’ai appris à être moi-même, à respecter mon instrument. Pour l’essentiel, je suis un baryton-basse, mais je m’accorde la liberté de choisir mes personnages en fonction de leur profil dramatique, et pas seulement de leur tessiture. J’ai absolument besoin d’être convaincu par la dimension théâtrale d’un rôle, sinon j’ai l’impression de perdre mon temps. Je ne suis pas très attiré, par exemple, par le bel canto, mais j’aime l’écouter dans un fauteuil, servi par un très grand chanteur, spécialiste de ce répertoire.
Ce n’est pas à moi d’en décider
-
Lire la suite dans Opéra Magazine numéro 104