Interview Anna Netrebko & Yusif Eyvazov
Interview

Anna Netrebko & Yusif Eyvazov

05/07/2023
Radamès et Aida à Vérone (2023). © HeadsProduction

Inséparables depuis leur rencontre dans Manon Lescaut, à Rome, en 2014, la soprano russo-autrichienne et le ténor azerbaïdjanais ressuscitent, à la ville, le glamour, l’extravagance même, de l’époque, révolue, des divas et des divos. À la scène, leurs voix flamboyantes redonnent leur démesure aux plus redoutables emplois du grand répertoire italien. Vedettes de l’Aida d’ouverture du 100e Festival de Vérone, le 16 juin dernier, ils seront en concert, aux Chorégies d’Orange, le 24 juillet, avant leur retour, pour la première fois ensemble, à l’Opéra Bastille, le 16 janvier 2024, dans Adriana Lecouvreur. Plus que jamais active sur Instagram, Anna Netrebko a pris la décision, dans le contexte de la guerre en Ukraine, de garder le silence face à la presse. À défaut de dialogue, donc, florilège de ses propos passés, et rencontre avec Yusif Eyvazov.

Anna Netrebko par elle-même

AU THÉÂTRE

Son évolution de carrière

« Il faut s’écouter soi-même. Alors, on sent ce qui est bon pour sa voix. Dans mes premières années, j’ai chanté plus de cinquante rôles différents. Beaucoup de gens m’ont dit, à l’époque : « Ne fais pas cela, tel ou tel rôle arrive trop tôt pour toi. » Mais je ne les ai pas écoutés, parce que je savais ce que je pouvais exiger de moi. Je connaissais mes limites ! (…) Si vous sentez pendant les répétitions qu’accepter le rôle était une erreur, vous pouvez honorer votre contrat, mais il faut le retirer de votre répertoire aussitôt après. Et revenir aux parties qui vous vont bien. Si vous continuez sur la mauvaise voie, la voix sera détruite en un ou deux ans. »
TAGESSPIEGEL, DÉCEMBRE 2019


Des Grieux et Manon Lescaut à Rome (2014). © Silvia Lelli

Ses grands rôles actuels

« J’ai lu l’histoire d’Adrienne Lecouvreur. C’était une femme incroyable ! Elle a inventé une certaine forme de jeu, une façon de déclamer, et elle était aussi impliquée dans la création des costumes. Elle était très connue, et avait beaucoup d’amis, comme Voltaire. Elle aurait été assassinée par cette princesse jalouse, par revanche amoureuse, ce qui est assez triste. La musique de Cilea pour le personnage d’Adriana Lecouvreur est complexe, mais elle est splendide, parfois un peu sentimentale. Elle va droit au cœur. »
METROPOLITAN OPERA LIVE IN HD, JANVIER 2019

« C’est une œuvre folle. Le dernier acte est beau, mais interminable pour la chanteuse. Et il faut vouloir être une diva pour incarner Adriana Lecouvreur, qui a réellement existé, et était une des actrices les plus célèbres de son époque. Pas au sens d’être une garce, mais du point de vue de la confiance en soi. C’est pourquoi sa personnalité doit être ressentie dès la première mesure : une aura qui attire à elle l’attention de chacun. Ce rôle est réservé à des interprètes dans leur maturité, avec un sens du style. »
TAGESSPIEGEL, DÉCEMBRE 2019

« Aida passe par tant de sentiments ! Le plus dur, pour moi, est qu’elle prononce le mot « pietà » trente à quarante fois dans l’opéra, et qu’il doit sonner différemment à chaque fois. Je dois exprimer beaucoup d’émotions, et pas seulement être triste et souffrir. Car Aida a, aussi, beaucoup de colère en elle – peut-être même bien plus qu’Amneris. Tout est écrit dans la partition. Il faut l’examiner avec précision, pour faire tout ce que Verdi demande – et il en demande beaucoup ! Et aussi y mettre un peu de soi, afin que le personnage prenne vie. En plus de la technique, la soprano qui chante Aida doit être intrépide, avoir la tête froide et le cœur chaud. Pour y aller, et ne penser à rien d’autre ! »
METROPOLITAN OPERA LIVE IN HD, OCTOBRE 2018


Aida et Radamès à Madrid (2022). © Javier del Real / Teatro Real

« Si je ressens de la compassion pour Lady Macbeth ? En tant qu’être humain, bien sûr. En tant qu’interprète, je suis, d’abord et avant tout, fascinée par ce caractère d’une noirceur shakespearienne, sombre et tourmenté. Selon moi, n’importe quel individu pourvu d’une telle ambition et d’une telle force, qui perd brusquement tout son pouvoir, est détruit, tragiquement réduit à néant. Une telle personne appelle, bien sûr, à la compassion. Mais quand je suis sur scène, je n’y pense pas : pour moi, c’est du théâtre, et le théâtre, c’est sacré. »
STAATSOPER DE VIENNE, JUIN 2021 

« C’est un rôle très sérieux, et démoniaque. Incarner Lady Macbeth est très facile pour moi. En réalité, je ne joue pas, j’entre juste en scène, et je suis moi-même. Et j’adore ça ! J’aime cette énergie maléfique, mais je pense que chaque actrice ou acteur qui joue avec le mal doit faire attention, car ce n’est pas une bonne chose. Il faut toujours savoir que ce jeu peut mal finir, non seulement pour les personnes qui vous entourent, mais surtout pour vous. »
TEATRO ALLA SCALA, DÉCEMBRE 2021

« Je ne trouve pas Turandot trop effrayante. Puccini a créé le rôle pour le même type de voix que Liù, son adversaire dans l’opéra. Donc, pas du tout une voix très dramatique, comme nous en avons l’habitude aujourd’hui. Seules des interprètes comme Ghena Dimitrova ou Eva Marton ont donné cette couleur à Turandot. Mais de tels instruments ne sont pas si fréquents. Cette partie peut tout à fait être chantée par une soprano lyrique, si elle a un registre aigu puissant, et qui répond facilement. Pour les sopranos dramatiques, les notes les plus hautes sont souvent très épuisantes, et produites avec de la pression. C’est pourquoi le public pense que c’est incroyablement difficile ! »
TAGESSPIEGEL, DÉCEMBRE 2019

Ses futurs rôles

« J’aimerais chanter du Richard Strauss. Même si j’annule Salome partout ! Je travaille un peu sa musique, et elle me procure une sensation très saine. Et je retiens mieux le texte allemand dans Strauss que dans Wagner. J’ai appris Ariadne auf Naxos très vite, mais si vous me demandez de citer des paroles de Lohengrin, je ne m’en souviens plus ! Je ne sais pas pourquoi. Ariadne, ou un autre rôle, pas aussi dramatique que Salome, serait très bon pour mon instrument et mon développement. Cette écriture garde la voix en bonne forme et dans la bonne position. »
MET STARS LIVE IN CONCERT, FÉVRIER 2021

Les rôles qu’elle n’aime pas

« Je ne supporte pas Thaïs ! Elle est la courtisane la plus sexy de l’Alexandrie antique, elle a tout le luxe qu’elle pourrait désirer, et soudain, elle décide d’aller se faire nonne dans le désert. Non, vraiment, je suis désolée, mais je ne la comprends pas ! »
TAGESSPIEGEL, DÉCEMBRE 2019

La mise en scène 

« Pour être honnête, je n’ai plus envie de répéter pendant six semaines. Trois et demie doivent suffire pour un opéra, surtout si j’ai déjà interprété le rôle ailleurs. De toute façon, je ne peux pas jouer beaucoup dans le répertoire verdien plus lourd que je chante actuellement. Quand un metteur en scène me dit : « S’il te plaît, penche-toi sur le côté en chantant », ce n’est pas possible. Quand la hanche est tordue, la trachée l’est aussi. Pendant « D’amor sull’ali rosee« , dans Il trovatore, je ne dois pas bouger, autrement, l’air ne circule pas correctement, et puis : basta ! Il ne s’agit que de contrôler parfaitement la respiration. »
TAGESSPIEGEL, DÉCEMBRE 2019


Tosca et Cavaradossi à New York (2018). © Metropolitan Opera / Ken Howard

L’opéra au cinéma

« Au Metropolitan Opera de New York, les productions retransmises dans les cinémas sont très bien faites. Le chant a vraiment la plus haute priorité, pas le physique. Et ils n’enregistrent pas la première, seulement une représentation ultérieure, quand tout est bien en place. Ce qui m’ennuie est que, désormais, tout le monde veut faire du streaming. À peine entrée dans un théâtre, me voilà prise en embuscade avec la question : « Pouvons-nous diffuser le spectacle en direct ? » Eh bien, non ! Souvent, je n’ai même pas eu de répétitions dignes de ce nom avant. La qualité ne peut être que mauvaise. »
TAGESSPIEGEL, DÉCEMBRE 2019

À LA VILLE

Son art de vivre

« J’apprécie l’art et les belles choses, mais je ne veux pas y consacrer trop d’argent. J’aime rôder dans les brocantes, par exemple, à la recherche de beaux objets. Accrocher des tableaux sur mes murs n’est pas un « must » pour moi, mais j’adore les regarder, et j’essaie aussi de piquer la curiosité de mon fils [Tiago, né en 2008]. Nous visitons beaucoup d’expositions ensemble. Il a déjà développé son propre goût pour l’art moderne et contemporain : Picasso est son héros ! (…) J’aime la sculpture, la porcelaine, la céramique. J’ai toujours voulu créer quelque chose de mes propres mains. J’ai pensé qu’un jour, peut-être… Mais la seule chose que mes mains ont produite, jusqu’à maintenant, est une lampe à l’effigie de Yoda, que j’ai peinte moi-même. (…) Nous avons redécoré notre appartement viennois, avec un designer italien. J’ai choisi les tissus et les couleurs, et j’ai dessiné deux canapés, pour m’occuper. J’ai aussi rénové la terrasse, et peint les murs durant la pandémie, l’année dernière. Ensuite, je vais imaginer des boîtes pour la Sachertorte. Je conçois aussi des sacs, pour m’amuser. »
DOROTHEUM MY ART MAGAZINE, MAI 2021

Sa garde-robe

« Je m’habille comme une folle, parce que je suis folle ! (…) Ou, peut-être, plus artiste et extravagante que folle. J’ajoute toujours une touche de fantaisie à mes vêtements, je les aime beaucoup mieux ainsi. Bien sûr, faire les valises est un problème, mais j’ai une astuce : j’étale mes tenues au sol, et je passe en revue toutes les combinaisons possibles. Je ne peux pas toujours porter la même chose, n’est-ce pas ? Et je m’habille spécialement pour mes publications Instagram. »
DOROTHEUM MY ART MAGAZINE, MAI 2021

Les réseaux sociaux

« J’ai un compte sur Instagram depuis 2014, quand j’ai rencontré mon mari. Avant, je n’utilisais que deux boutons sur mon téléphone portable – le rouge et le vert. Pas d’ordinateur, pas d’e-mails… J’étais un authentique dinosaure. Je ne mets rien de trop personnel. J’observe et je décris ce que je vois. Mes publications sont des instantanés, c’est pourquoi elles sont intéressantes. Il ne s’agit pas de perfection. »
DOROTHEUM MY ART MAGAZINE, MAI 2021

Paris


© Vladimir Shirokov / Universal

« Dans une ville comme Paris, je peux marcher des heures entières, m’y perdre, profiter de tout ce qu’elle offre. C’est une si belle ville ! Comme la vie ! »
OPÉRA NATIONAL DE PARIS, MAI 2017

« Je ne suis jamais allée au Louvre. À chaque fois que j’ai voulu le visiter, il y avait tellement de monde dans la queue que je me suis dirigée vers la boutique Chanel, à la place ! »
DOROTHEUM MY ART MAGAZINE, MAI 2021

Yusif Eyvazov par lui-même

Comment avez-vous découvert votre voix ?

Enfant, je ne chantais pas beaucoup, et faire ce genre de carrière ne faisait pas partie de mes rêves. D’ailleurs, personne dans ma famille ne s’attendait à ce que je choissise cette voie ! À 18 ans, je suis entré à l’Université, et j’y ai participé à un spectacle d’humour très populaire, dans lequel je devais chanter. Notre pianiste, qui avait une formation classique, m’a conseillé d’envisager sérieusement une carrière de chanteur. J’ai commencé à prendre des cours, d’abord à l’Académie de Musique de Bakou, avant de déménager, quelques années plus tard, en Italie, où j’ai continué mes études.

Pourquoi avez-vous pris la décision de vous perfectionner en Italie, plutôt qu’en Russie, par exemple, où l’école de chant est particulièrement dynamique ?

C’était un conseil de mon coach vocal. Et je lui en suis très reconnaissant ! Bien sûr, il aurait été plus facile pour moi de déménager en Russie. Mais quand on pense à l’opéra, on pense à Pavarotti, Corelli, Caruso, et donc à l’Italie. C’est là que cet art a ses racines. De plus, je savais que de très bons professeurs y vivaient à l’époque. L’Italie est, assurément, ma deuxième patrie. J’y ai vécu dix-sept années très importantes, pendant lesquelles je me suis formé comme chanteur, et comme professionnel.

Votre registre aigu, aussi facile qu’inépuisable, est-il inné, ou acquis à force de travail ?

Certains chanteurs d’opéra semblent naturellement doués dès le début. Dans mon cas, j’ai dû déployer des efforts considérables pour développer ma voix et surmonter divers défis techniques. Je dirais qu’environ 20 % de mes capacités découlent d’un talent inné, tandis que les 80 % restants sont le résultat d’un travail acharné et de ma volonté de ne jamais abandonner.

Votre carrière a vraiment débuté, lorsque vous avez chanté, pour la première fois, Mario Cavaradossi (Tosca), au Bolchoï de Moscou, en 2010. Vous aviez alors 33 ans, ce qui peut paraître assez tard aujourd’hui…

Je suis ténor dramatique. Ce type de voix se développe un peu plus tard que celle d’un ténor lyrique, par exemple. De plus, les rôles qui lui sont associés exigent le dramatisme, la puissance, le charisme d’un homme, pas d’un garçon ! Le parcours de chaque artiste est unique, et si je n’ai percé qu’à 33 ans, cela signifie qu’à ce moment-là, j’étais prêt. Je suis reconnaissant pour le chemin qui m’a mené là où je suis aujourd’hui.


Maddalena et Andrea Chénier à Milan (2017). © Teatro alla Scala

Vous avez, dès le début de votre carrière, endossé les grands rôles de lirico spinto, sans faire vos armes avec des parties moins exigeantes. Et dès 2013, vous chantiez votre premier Otello, au Festival de Ravenne. Avez-vous hésité avant d’accepter ?

J’ai été auditionné par Cristina Mazzavillani Muti, qui mettait en scène Otello, à Ravenne. Son mari, Riccardo Muti, s’y trouvait aussi – le couple habite cette ville –, et il venait aux répétitions, donnant parfois quelques conseils. J’ai gardé toutes les photos, où nous travaillons ensemble le rôle d’Otello. C’était une décision personnelle, il n’était pas officiellement impliqué dans la production. Puis, Cristina Muti m’a suggéré d’aller passer l’audition pour les représentations de Manon Lescaut, prévues à Rome. Et j’ai été pris pour chanter Des Grieux. Cela a été un moment historique dans ma carrière, et le point de départ de mes collaborations ultérieures avec Riccardo Muti. Un tournant dans ma vie, non seulement professionnelle, mais aussi personnelle, quand j’ai rencontré Anna, à Rome !

Votre partenaire était, en effet, une grande vedette, qui faisait ses débuts en Manon Lescaut et allait, moins de deux ans plus tard, devenir votre femme, Anna Netrebko. Avez-vous eu le coup de foudre ?

J’ai passé six mois à me préparer pour Des Grieux, attendant avec impatience l’opportunité de travailler aux côtés de Riccardo Muti et de partager la scène avec Anna Netrebko. C’était un rêve devenu réalité ! J’espérais apprendre beaucoup d’une star de classe mondiale. J’avais toujours perçu Anna, avant son arrivée à Rome, comme une brillante professionnelle dans son domaine. Toutefois, après notre rencontre, j’ai aussi vu un être humain incroyable, avec lequel j’ai ressenti une connexion profonde. L’étincelle était là. Quand tout s’aligne, et que vous reconnaissez quelqu’un comme « votre » personne, la relation se développe naturellement et rapidement. Après que nous sommes retournés, elle à Vienne, moi à Milan, nous avons tous les deux réalisé que nous ne pouvions pas vivre l’un sans l’autre. À peine un mois plus tard, j’ai pris la décision de quitter Milan pour Vienne, afin d’être avec Anna.

Pendant les premières années de votre relation, certains, dans la presse notamment, vous appelaient « Monsieur Netrebko » et affirmaient que vous deviez à votre femme l’accélération de votre carrière… Avez-vous été blessé par ces remarques ?

Bien sûr que les exigences envers moi, en tant que chanteur, étaient injustes, en raison des comparaisons avec Anna. Néanmoins, je ne trouve rien d’offensant à être appelé « Monsieur Netrebko». Beaucoup de couples mariés partagent le même nom de famille, et cela ne diminue en rien l’individualité de chacun des conjoints ! Je conçois que ces remarques puissent avoir une connotation négative, dans le but de provoquer la discussion ou de blesser les sentiments de quelqu’un. Cependant, cela ne m’affecterait que si je pensais que c’était vrai. Au lieu de cela, j’ai choisi de me concentrer sur mon propre chemin, mon développement personnel, et de canaliser mon énergie vers les personnes qui croient en moi et m’apprécient. La présence d’Anna a-t-elle contribué à accélérer ma carrière ? Certainement, surtout en termes de publicité. Toutefois, lorsque je monte sur scène, je suis seul responsable de ma performance. À l’opéra, il n’y a pas de place pour les raccourcis : c’est une interaction directe entre soi et le public ! Chaque représentation exige que je donne tout, que j’affine continuellement mes capacités, et que je travaille sans relâche. Il n’y a pas d’autre moyen. Cela dépend, en fin de compte, de la détermination et des efforts de chaque individu.


Des Grieux et Manon Lescaut à Monte-Carlo (2022). © OMC / Alain Hanel

« Les théâtres, même s’ils n’aiment pas beaucoup les couples, nous invitent à chanter ensemble, parce que nos voix se marient bien ! », déclarait votre femme, dans l’entretien qu’elle avait accordé à Opéra Magazine, en 2017. Ressentez-vous, quand vous chantez ensemble, une alchimie particulière, ou, autrement dit, chantez-vous mieux, quand vous partagez la scène avec Anna Netrebko ?

Je suis tout à fait d’accord avec Anna sur ce point, et je pense que nos voix se mélangent très bien. Néanmoins, sur scène, nous sommes, avant tout, des professionnels. Les relations personnelles aident certainement à créer une alchimie et des étincelles, mais je ne dirais pas que je chante mieux ou moins bien, quand j’ai ma femme pour partenaire !

Votre vie de couple est très exposée sur le compte Instagram de votre femme. Est-ce une façon de raviver la magie à l’ancienne de l’opéra ?

Vous ne pouvez pas mettre Anna dans une boîte. Elle est très authentique, et sa personnalité fait partie de son succès. Elle aime la vie, les couleurs éclatantes… Et c’est contagieux. Dans le bon sens !

Pour revenir à des considérations d’ordre artistique, à l’exception d’Hermann (La Dame de pique), vous chantez exclusivement l’opéra italien de la seconde moitié du XIXe siècle, dont Turandot marque la fin, en 1926. Pensez-vous élargir votre répertoire ?

Je ne choisis pas les rôles. Ce sont les rôles qui me choisissent ! J’ai passé tant d’années en Italie, quasiment toute ma vie d’adulte, et j’ai absorbé cette culture, cette langue – c’est, peut-être, l’une des raisons pour lesquelles je me sens chez moi dans ce répertoire. Une autre raison est que je considère le dramatisme et le réalisme de Puccini comme les plus appropriés, non seulement pour ma voix, mais aussi pour ma personnalité. L’opéra est du théâtre, nous sommes des interprètes, et il me paraît important de vivre le personnage. Dès lors, quelque chose de magique se produit sur scène, et le public croit en l’histoire que nous lui racontons. Évidemment, je reste ouvert à de nouveaux rôles, c’est une progression naturelle pour tout artiste.


Mario Cavaradossi et Floria Tosca à New York (2018). © Metropolitan Opera / Ken Howard

Quel est le rôle qui vous stimule le plus, aujourd’hui ?

L’un des rôles les plus complexes, et en même temps l’un de mes préférés, est Hermann. Outre le défi vocal qu’il représente, il exige d’aller au fond de l’état psycho-émotionnel du personnage, pour suivre son évolution dramatique, tout au long de l’opéra, son obsession et sa folie. Cette transformation est fascinante ! Un autre favori est Otello ; comme Hermann, c’est un caractère multi-dimensionnel. À chaque fois que je le travaille, il révèle de nouvelles facettes, de nouvelles profondeurs. Je peux aussi ajouter, à cette liste, Des Grieux et Andrea Chénier.

Votre femme ne cache pas son goût pour les productions à l’ancienne et spectaculaires, comme en témoigne l’une de ses récentes publications sur Instagram (1), à propos des répétitions d’Aida, aux Arènes de Vérone, où elle écrit : « ARENA ! 400 personnes sur scène. J’aime le vrai THÉÂTRE. » Êtes-vous sur la même longueur d’onde ?

À l’heure actuelle, dans certains théâtres,les productions contemporaines et minimalistes ont la cote. Je comprends que cela puisse apporter une nouvelle perspective à des opéras très connus. Mais je ne peux pas nier que je suis, comme Anna, nostalgique de ces grands spectacles, avec des décors impressionnants et beaucoup de monde sur scène. C’est tellement amusant !

Chanter en plein air, comme à Vérone, où vous ouvrez la 100e édition du Festival dans Aida, ou au Théâtre Antique d’Orange, où vous vous produirez en concert, le 24 juillet, demande-t-il plus d’efforts et de concentration ?

En plein air, l’acoustique est complètement différente de celle d’une salle de concert. Évidemment, cela doit être pris en compte, car le son est dirigé directement vers le public. L’atmosphère même de ces théâtres antiques apporte une union incroyable avec les spectateurs.

Vous venez d’être nommé à la tête du Théâtre National Académique Azerbaïdjanais d’Opéra et de Ballet, à Bakou. Comment allez-vous mener de front ces nouvelles fonctions et votre carrière internationale ?

Être le directeur du Théâtre National Académique Azerbaïdjanais d’Opéra et de Ballet exige un engagement à temps plein, et pose la difficulté de trouver un équilibre avec ma carrière. Mais j’aime les défis, et amener ce théâtre à un niveau supérieur, à l’échelle internationale, me motive vraiment. Cela suppose une gestion stricte du temps et une équipe solide, mais j’ai l’habitude de travailler dur, et je suis très excité d’apporter mon expertise à mon pays natal !

(1) L’entretien a été réalisé le 10 juin 2023.

Propos recueillis et traduits par MEHDI MAHDAVI

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