Elle est russe et soprano. Il est américain et ténor. Parents d’un petit garçon, ils forment l’un des couples d’opéra les plus séduisants de notre époque, tant sur le plan vocal que scénique. À l’affiche du Covent Garden de Londres, à partir du 16 avril, en Pamina et Tamino, ils reviendront à l’Opéra National de Paris en 2014, pour Giulietta et Tebaldo dans I Capuleti et i Montecchi, après leur triomphe dans The Rake’s Progress au Palais Garnier, à l’automne dernier.
Au cours de cette saison 2012-2013, vous chantez ensemble dans pas moins de trois productions. Est-ce un hasard ou une volonté de votre part ?
Ekaterina Siurina. Un pur hasard ! C’est d’ailleurs la première fois que nous nous retrouvons ensemble sur scène aussi souvent, au cours d’une seule et même saison.
Charles Castronovo. En général, nous considérons comme une chance d’avoir ne serait-ce qu’un spectacle en commun. Or, Die Zauberflöte à Londres sera le quatrième en moins d’un an ! Bien sûr, nous demandons à nos agents respectifs de trouver le maximum d’opportunités. Et nous glissons toujours, dans nos conversations avec les directeurs de maisons d’opéra, qu’il serait vraiment très agréable de pouvoir chanter ensemble. Mais cela n’arrive évidemment pas à tous les coups !
Vous avez du moins la chance de vous produire dans le même répertoire. Est-ce sur scène que vous vous êtes rencontrés ?
C. C. C’était au Staatsoper de Berlin, dans L’elisir d’amore. Pour une fois, ledit élixir a vraiment eu de l’effet ! Nous étions déjà amoureux à la fin de la série de représentations…
E. S. Quelle ravissante histoire !
Quand vous travaillez un nouvel opéra, encouragez-vous votre conjoint à s’y intéresser aussi ?
E. S. Charles a tendance à accepter des projets bizarres, à la dernière minute, et il doit souvent apprendre ses rôles à vitesse accélérée. Il lui arrive de lever le nez de sa partition et de me dire : « Ce rôle pourrait très bien t’aller ! » En concert, je préfère généralement me limiter à un répertoire que je connais bien, mais il me pousse toujours à essayer de nouveaux airs. Lorsque nous nous sommes produits au Tivoli Festival de Copenhague, l’été dernier, toutes les pièces de la deuxième partie étaient nouvelles pour moi !
C. C. Et tu as adoré !
E. S. Parfois, je me demande si cela vaut la peine de prendre des risques. Pourquoi ne pas toujours chanter la même chose ? Puis, je me laisse convaincre et tout se passe très bien. J’espère que nous aurons l’occasion, à l’avenir, de donner davantage de concerts de ce type. Et pourquoi pas une soirée avec des couples ? Nous en connaissons bien huit ou neuf. Karel Mark Chichon, le mari d’Elina Garanca, pourrait tous nous diriger !
C. C. Une excellente idée pour la Saint-Valentin !
Échangez-vous parfois des conseils techniques ?
E. S. Charles est ténor. Il est donc très difficile de lui dire quoi que ce soit… Généralement, quand quelque chose ne va pas, il s’en rend compte lui-même. Mais s’il n’en a pas conscience et me demande mon avis, je dois faire très attention à ne pas le mettre en colère ! Je ne le dérange donc jamais pour des détails, surtout que, dans ce métier, vous rencontrez déjà suffisamment de gens pour vous dire des choses désagréables… Nous formons une famille et, à ce titre, nous sommes censés nous soutenir. Je tiens évidemment à être honnête avec Charles mais, quand une critique vient de moi, qui suis sa femme et l’aime tant, elle prend des proportions démesurées.
C. C. Ekaterina n’a besoin de me donner son avis que lorsque je le lui demande !
E. S. Chanter est plus facile pour les femmes, c’est dans leur nature. Elles chantent des berceuses à leurs enfants et, surtout, elles parlent à la même hauteur. Les ténors, eux, doivent atteindre un registre extrêmement aigu. Ils forment vraiment une race à part, raison pour laquelle ils inspirent tant de plaisanteries, avec lesquelles je suis souvent d’accord !
C. C. Je ne fais pourtant pas partie des plus fous ! Pour en revenir à votre question, nous nous donnons mutuellement des conseils, sans pour autant faire systématiquement une mise au point à l’issue de chaque représentation.
E. S. Quand Charles ne me dit pas grand-chose, je me demande tout de suite ce qui n’a pas fonctionné. A-t-il entendu cette note, l’a-t-il aimée ? Ce que je faisais au deuxième acte avait-il un sens ? Quelquefois, j’aimerais qu’il m’en dise plus, surtout quand j’essaie de modifier mon interprétation d’un rôle.
Avez-vous parfois le sentiment – comme au début de The Rake’s Progress, dans la mise en scène d’Olivier Py, qui vous prenait au saut du lit – que le public vous observe dans votre intimité ?
C. C. Avec une soprano pour laquelle je n’éprouve aucun sentiment amoureux, je joue la comédie et ce qui se passe m’est égal. Je n’ai pas envie, en revanche, que l’on voie comment j’embrasse ma femme ! Cela relève de la sphère privée. Ceci posé, nous nous sommes bien amusés en jouant cette scène !
E. S. Charles est très tendu dans ce genre de situation. Moi, à l’inverse, je m’y sens à l’aise. Avec les autres ténors, je n’éprouve pas de gêne, dans la mesure où nous travaillons toujours dans un respect mutuel. Mais, avec Charles, j’ai la possibilité d’aller plus loin. Je ne suis pas inquiète à l’idée de lui caresser le torse, et je peux l’embrasser autant que je veux ! Je n’ai pas l’impression que le public envahit notre intimité, tout simplement parce que nous ne nous comportons pas de la même manière sur un plateau et à la maison. Je me souviens qu’un metteur en scène nous a dit un jour que nous étions comme frère et sœur !
C. C. C’est parce que je n’avais rien fait avant la répétition générale. J’étais très doux avec toi !
E. S. Charles est un garçon timide en scène…
C. C. Timide ? J’ai passé la moitié de The Rake’s Progress à me déshabiller et à me rhabiller !
E. S. Avec les femmes, tu n’es jamais agressif ni vulgaire.
Est-ce un défi, dans Die Zauberflöte, de feindre l’émerveillement de la découverte ? Après tout, c’est votre femme qui est représentée sur le portrait que vous remettent les trois Dames…
C. C. Nous avons l’un et l’autre, tout particulièrement Ekaterina, l’air jeune en scène. Il nous est donc plus facile de jouer la naïveté.
E. S. La plupart du temps, de toute manière, le portrait n’est pas celui de la soprano qui est en scène… Au moins neuf cents Pamina ont ainsi dû se succéder dans une production comme celle du Staatsoper de Vienne !
C. C. Nous attendons les représentations du Covent Garden avec impatience car Alessandro, notre fils de 5 ans, foulera les planches pour la première fois avec nous. Il jouera l’un des enfants de Papageno.
Chantez-vous mieux lorsque vous êtes ensemble ?
E. S. Je me sens beaucoup plus détendue avec Charles car je sais que, si j’oublie mon texte, il va probablement me le souffler…
C. C. Mais c’est parce que je connais tes répliques mieux que toi ! Et, quand tu me les demandes, j’ai souvent envie de te répondre : « Pourquoi devrais-je me souvenir de ton texte ? J’ai déjà bien assez à faire avec le mien ! »
E. S. Si tu oubliais une réplique, je te la soufflerais et je n’en ferais pas une maladie ! J’ai vécu cette expérience une fois, dans Rigoletto. Le baryton qui interprétait le rôle-titre a eu un trou de mémoire, et j’ai été très heureuse de pouvoir l’aider. Il m’arrive également de m’inquiéter pour Charles. Quand il doit chanter un passage difficile, mon cœur bat plus vite, alors qu’avec les autres ténors, je me contente d’écouter.
Que ressentez-vous lorsque vous vous produisez à des milliers de kilomètres l’un de l’autre ?
C. C. Nous sommes très différents de ce point de vue. Au début, je suis très tranquille. Mais, plus le temps passe, plus ma femme et mon fils me manquent. Alors qu’Ekaterina, elle, a plutôt tendance à s’habituer et à organiser sa vie en fonction de l’éloignement. Ceci posé, nous avons besoin de nous parler régulièrement. Je l’appelle en général cinq à six fois par jour, même pour deux minutes.
E. S. Charles aime tenir la bride plutôt serrée : « Où étais-tu ? Pourquoi n’as-tu pas répondu ? »
C. C. Avec le décalage horaire, c’est parfois difficile de trouver le bon moment pour se parler…
Votre fils est-il toujours avec vous ?
C. C. Il voyage avec Ekaterina, la plupart du temps. Il change sans cesse d’école, mais il va bien falloir trouver un point d’ancrage. Quand ? Question épineuse…
Quel est votre couple d’opéra préféré ?
E. S. Adina et Nemorino.
C. C. Vraiment ? Elle est tellement méchante !
E. S. Non, elle est piquante et maligne. Comment pourrait-on ne pas aimer Adina ?
C. C. Je préfère Roméo et Juliette. Parce que j’aime énormément l’opéra français. Ekaterina chante davantage de bel canto.
E. S. Pas autant que je le voudrais, car c’est un répertoire qui n’est pas si souvent programmé. Je suis maintenant impatiente d’aborder l’opéra français. Ma voix s’est suffisamment développée, et Charles m’aide pour la prononciation.
Ironie du sort, il vous est arrivé de chanter le même opéra au même moment, mais pas au même endroit !
C. C. Tout comme il nous est arrivé de chanter le même opéra au même endroit, mais pas au même moment ! Cela a été le cas pour L’elisir d’amore à Bastille, dans la merveilleuse mise en scène de Laurent Pelly.
E. S. Les théâtres devraient plus souvent engager des couples à la ville. Même dans des opéras différents. D’abord, ce serait amusant. Ensuite, nous pourrions enfin mener une vie normale !