À 63 ans, après trente-cinq années de carrière, la célèbre mezzo suédoise enchaîne les prises de rôles dans les répertoires les plus différents. Les Cherubino, Octavian et Sesto des débuts ont laissé place à des emplois de caractère brefs mais marquants, dans le registre tragique aussi bien que comique. L’automne et le début de l’hiver 2018-2019 ont été consacrés à la Vieille Dame dans Candide, à Berlin et à Londres. Prochain défi : l’Opinion publique dans Orphée aux Enfers, en août, au Festival de Salzbourg, à l’occasion du bicentenaire de la naissance d’Offenbach.
Enfant, avez-vous fait de la musique, et rêviez-vous déjà de devenir chanteuse ?
J’ai toujours fait partie d’un chœur – même, à un moment, de deux à la fois ! – couvrant un répertoire immense, essentiellement sacré, disons de Palestrina aux compositeurs suédois de la deuxième moitié du XXe siècle. D’emblée, j’ai aimé me sentir entourée par d’autres voix et faire partie de l’harmonie. Bien sûr, j’étais très fière quand parfois me revenait une phrase solo, voire un air ou un duo, mais jamais je n’aurais imaginé devenir soliste. Pour progresser, j’ai commencé à prendre des cours de chant. À 19 ans, on a trouvé que ma voix valait la peine d’être travaillée sérieusement, et pour la développer, on m’a fait faire aussi de l’opéra. Après six ans au Conservatoire de Stockholm, j’ai cherché une formation spécifiquement tournée vers l’art lyrique et, ayant envie d’aller voir ailleurs, j’ai passé des auditions pour la Guildhall School of Music & Drama de Londres, où j’ai été admise.
C’est là que vous êtes entrée dans la classe de Vera Rozsa (1917-2010), le fameux professeur, entre autres, de Kiri Te Kanawa, Sarah Walker, Karita Mattila…
En ce tournant des années 1970-1980, c’était « le » professeur en vue ! Son travail allait bien au-delà de la seule technique, elle vous guidait également pour la musicalité et, bien sûr, pour le répertoire. C’est avec elle que j’ai travaillé Mahler, mais aussi Schubert, dont j’aimais alors la musique de chambre, mais guère les lieder – c’est venu avec la maturité –, et des rôles comme Cherubino (Le nozze di Figaro) et Octavian (Der Rosenkavalier), qui ont été très importants pour ma carrière. Vera Rozsa m’a poussée à passer des concours, mais je ne suis pas restée plus de quatre ans avec elle. Je trouvais son enseignement trop éprouvant : elle adorait vous faire pleurer, pour mieux vous tendre une boîte de mouchoirs ensuite ! Elle aimait briser ses élèves, pour leur faire perdre de leur superbe, et montrer aussi qui était le maître. Je n’approuve pas cette méthode ; l’exigence ne justifie pas pour moi la dureté, voire la cruauté gratuite et l’humiliation, surtout quand il s’agit de master classes publiques…
Vous évoquez Cherubino et Octavian, mais c’est dans un autre rôle travesti qu’on vous a découverte en France : Ramiro dans La finta giardiniera au Festival d’Aix-en- Provence, en juillet 1984. Une production devenue légendaire, dont aussi bien Semyon Bychkov que Gildas Bourdet, interviewés bien après, se souviennent chacun avec tendresse…
C’était une production bénie des dieux, pour un faisceau de raisons : la magie de l’Archevêché, la découverte d’un Mozart de jeunesse, la direction inspirée de Bychkov, la très belle scénographie de Bourdet, dans les si jolis costumes de Françoise Chevalier… Une grande partie de ma carrière s’est faite, en effet, dans ces rôles travestis qui convenaient à ma voix de mezzo, et dans lesquels je n’avais pas de mal à me glisser, vu ma taille ! Chez Mozart, j’ai aimé Ramiro, mais c’est surtout Cherubino, comme je l’ai dit, qui a été mon passeport pour les grands théâtres. J’ai énormément chanté Sesto (La clemenza di Tito) et Idamante (Idomeneo), ce dernier, hélas, pas autant que je l’aurais voulu. Chez Richard Strauss, je pense à Octavian, bien sûr, que j’ai interprété partout. J’ai aussi fait le Compositeur (Ariadne auf Naxos), mais il me convenait moins bien : un peu trop tendu vocalement et d’une brièveté n’offrant pas l’éventail psychologique d’Octavian.