© SIMON FOWLER/WARNER CLASSICS

Absente des studios d’enregistrement depuis plusieurs années, la soprano roumaine fait son grand retour cet automne, chez Warner Classics, avec un album d’airs « véristes » intitulé Eternamente. L’occasion de faire le point sur une carrière internationale de 25 ans, passée pour une bonne partie sous les projecteurs des médias, et de lancer quelques messages, entre autres à Roberto Alagna, avec lequel son ex-épouse aimerait aujourd’hui rechanter.

On l’ignore en France, mais votre patronyme Gheorghiu, nom de votre premier mari, est celui d’une famille de musiciens fameux en Roumanie. Cela a-t-il joué un rôle pour votre carrière ?

En effet, mon beau-père était Stefan Gheorghiu, disparu en 2010. Un immense violoniste et pédagogue, un aristocrate d’une classe folle, très cultivé, tout en restant d’une simplicité totale. Chez lui ou chez son frère Valentin, remarquable pianiste et compositeur – à 89 ans, il donne encore des concerts ! –, j’ai croisé David Oïstrakh, Yehudi Menuhin, Martha Argerich… et tant d’autres ! Ce clan familial m’a énormément apporté et m’a soutenue à mes débuts. Une de mes grandes chances est également d’avoir achevé mes études musicales quelques mois après la chute des Ceausescu, et non avant. Je n’ai donc pas vécu la nécessité de fuir mon pays en cachette, dans des conditions terribles, comme mon amie Nadia Comaneci, par exemple. Je me souviens aussi que lorsque Leontina Vaduva et Alexandru Agache ont quitté la Roumanie, de rage, Elena Ceausescu a suspendu toutes les possibilités de sortie pendant un an ! Pour moi, diplômée de l’Académie de Bucarest, en 1990, j’ai commencé immédiatement ma carrière à l’Opéra de cette ville, avec des premiers rôles, des enregistrements, des passages à la télé… En 1992, quand je suis partie à Londres, tout avait changé.

En 2017, vous fêtez vos 25 ans de carrière internationale ; à cette occasion, Warner Classics rassemble, en un coffret de 7 CD, tous les récitals que vous avez réalisés pour cette maison, en studio ou en direct. Quel regard portez-vous sur ces disques ?

Que de chemin parcouru depuis mes débuts au Covent Garden, en 1992, dans Don Giovanni ! J’incarnais Zerlina, et Bryn Terfel était Masetto… Qui aurait dit que, plus tard, nous serions réunis tant de fois en Tosca et Scarpia ? Mimi, la même année et dans le même théâtre, a été un tournant essentiel : cette Bohème m’a non seulement permis de rencontrer Roberto Alagna, qui chantait Rodolfo, mais aussi Georg Solti. Ce dernier m’a alors proposé Violetta dans la fameuse Traviata de 1994, toujours à Londres : ce spectacle a véritablement attiré l’attention internationale sur moi, et j’ai pu trouver une maison de disques. Roberto était en exclusivité chez EMI, et le plus logique aurait été que je signe là aussi. Mais pour Solti, je suis entrée chez Decca, la maison concurrente depuis des décennies : que l’on pense à la rivalité, dans les années 1950-1960, entre Maria Callas et Renata Tebaldi, ou encore Elisabeth Schwarzkopf et Lisa Della Casa ! Pour Roberto et moi, il s’est passé quelque chose d’extraordinaire : comme nous étions proches l’un de l’autre – nous ne sous sommes mariés qu’en 1996, à New York –, leur petite guerre a momentanément cessé, comme par magie, et nos firmes respectives nous ont permis d’enregistrer ensemble. Avec Solti, nous avions plein de projets : Pelléas et Mélisande, mais aussi un très beau programme d’opérettes hongroises et roumaines – un répertoire aussi passionnant que rare… Quel dommage qu’il soit parti si vite ! Après sa disparition, en 1997, j’ai définitivement rejoint Roberto chez EMI – aujourd’hui, Warner Classics. Je dois dire que j’ai eu de la chance, car j’ai connu l’époque bénie où les disques se vendaient encore, et j’ai pu, à chacune de mes prises de rôles, en laisser la trace audio et/ou vidéo, en studio ou en direct. Et contrairement à mon compatriote Sergiu Celibidache, je crois le disque très important pour les artistes : c’est ce qui restera de nous, alors autant livrer le meilleur témoignage possible ! Cela ne me dérange pas de graver un rôle que je n’ai pas encore fait sur scène : je me prépare énormément, et lorsque j’entre dans les studios, je peux ainsi me concentrer sur mon interprétation, sans qu’elle soit encombrée par la routine, les mauvaises habitudes. Aujourd’hui, quand je jette un regard sur toutes ces années, je suis fière du travail accompli, d’autant qu’ayant tout choisi moi-même (œuvres, lieux, dates, partenaires, chefs), j’en suis vraiment la responsable.

Lire la suite dans Opéra Magazine numéro 133

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