Le 7 décembre, une nouvelle production de Giovanna d’Arco de Verdi, créée à la Scala en 1845, ouvre la saison 2015-2016, la première entièrement conçue par Alexander Pereira, son nouveau surintendant et directeur artistique. L’ancien intendant de l’Opéra de Zurich et du Festival de Salzbourg, en poste jusqu’en 2020, est décidé à redonner toute sa place au répertoire italien des XIXe et XXe siècles dans la programmation, y compris le plus rare. Après Giovanna d’Arco, on attend ainsi avec impatience, en avril-mai, le retour d’un autre opéra représenté pour la première fois dans le temple milanais, en 1924 : La cena delle beffe de Giordano. Remarquablement équilibrée, cette saison affiche également Monteverdi, Haendel, Mozart, Richard Strauss, Britten… et même Gershwin, avec un Porgy and Bess dirigé par Nikolaus Harnoncourt !
Évacuons d’emblée la question polémique : comment avez-vous réussi à convaincre le conseil d’administration de la Scala, qui avait pris la décision, dès avant votre entrée en fonctions en septembre 2014, de mettre un terme à votre contrat à la fin de l’année 2015, de le prolonger jusqu’en 2020 ?
C’était une façon, pour le conseil d’administration, de se ménager une porte de sortie. Et bien que le Festival de Salzbourg ait confirmé que je n’avais pas passé de contrats avec moi-même, ni reçu aucun pot-de-vin – ce dont on m’accusait –, il restait encore une hésitation. J’ai donc proposé au maire de Milan de rester jusqu’en décembre 2015, non seulement afin que la Scala ne se retrouve pas sans surintendant juste avant l’Exposition universelle, mais aussi pour le convaincre, une fois au travail, que je ne volais pas les cuillers en or ! Et c’est exactement comme cela que les choses se sont déroulées. Mais sans doute un autre argument a-t-il joué en ma faveur. Dès mon arrivée, j’ai inventé un programme d’opéras pour la jeunesse – Grandi Spettacoli per Piccoli – en montant, avec le concours de l’Accademia Teatro alla Scala, une réduction de La Cenerentola. Cinq jours après la première, les dix représentations affichaient complet, alors que personne n’y croyait ! J’en ai donc doublé le nombre : au total, quarante mille enfants et leurs parents sont venus à la Scala participer à une activité qui n’existait pas auparavant. L’enthousiasme formidable suscité par cette opération a probablement pesé sur la décision du conseil d’administration.
Quels sont les défis propres à une maison d’opéra aussi mythique que la Scala ?
Peut-être est-elle plus fragile que les autres. Les Italiens sont sans doute les personnes les plus talentueuses au monde, et le niveau des équipes de la Scala est merveilleux. Mais leurs nerfs sont un peu à vif, ils perdent leur sang-froid trop rapidement… Comme je suis autrichien, je peux apporter les 5 % de patience nécessaires !
Le poids de la tradition est-il plus important qu’ailleurs ?
Il est lourd, bien sûr, mais je n’en ai pas peur. La Scala a été inaugurée en 1778, près d’un siècle avant le Palais Garnier, soit cent ans de tradition supplémentaires. Les plus grands chefs-d’œuvre du bel canto et du vérisme y ont été créés. L’un des problèmes auxquels je dois faire face, c’est l’absence de la quasi-totalité d’entre eux au répertoire. La tradition impose, par exemple, de ne pas oublier qu’Arturo Toscanini a dirigé, en 1924, la première mondiale de La cena delle beffe de Giordano, opéra qui n’a plus été donné sur cette scène depuis lors. À l’inverse de ce que Stéphane Lissner a été contraint de faire à cause des problèmes financiers qu’il a rencontrés, il faut augmenter le nombre de nouvelles productions par saison, afin de renouer avec la couleur italienne de ce théâtre. De même que les spectateurs berlinois ou -munichois attendent de leurs maisons d’opéra qu’elles mettent en avant le répertoire allemand, la Scala se doit de défendre le répertoire italien ! Ainsi, la moitié des titres que nous jouerons dans les prochaines années seront italiens.
Vous avez aussi nommé un Italien au poste de directeur musical…
En tant que deuxième surintendant étranger de l’histoire de la Scala, cette décision me paraissait absolument naturelle. D’autant que c’était le moment pour Riccardo Chailly, qui a fait une très grande carrière internationale, de rentrer à la maison !
Est-ce vous ou lui qui avez choisi Giovanna d’Arco pour l’ouverture de la saison ?
Je lui ai décrit le succès sensationnel rencontré par la version concertante que nous avions donnée au Festival de Salzbourg, en 2013, avec Anna Netrebko dans le rôle-titre. Et puisque j’avais déjà négocié d’ouvrir cette saison avec Anna, nous sommes très logiquement arrivés à Giovanna d’Arco. Cet opéra, pourtant créé à la Scala, en 1845, n’y a pas été repris depuis cent cinquante ans ! Quand on croit dans une œuvre – et c’est mon cas, je la trouve excellente, à l’instar de l’Otello de Rossini, que j’ai programmé, l’été dernier, pour la première fois depuis 1870 –, la décision s’impose.