Le 10 août, une nouvelle production d’Armida inaugurera la 35e édition du « Rossini Opera Festival », où seront également à l’affiche Il barbiere di Siviglia, Il viaggio a Reims et, pour la première fois, Aureliano in Palmira. Présents depuis le début de l’aventure, en 1980, Gianfranco Mariotti et Alberto Zedda, respectivement surintendant et directeur artistique, expliquent comment la manifestation n’a jamais dévié de sa mission première : défendre la cause de l’un des plus grands compositeurs d’opéra de tous les temps, en illustrant en termes scéniques les nouvelles éditions critiques de ses partitions et en formant des interprètes capables de les servir.
En quoi vos fonctions de surintendant consistent-elles exactement ?
Mon rôle se situe surtout sur le versant artistique, où je partage les responsabilités avec Alberto Zedda. Nous effectuons ensemble les choix de répertoire et d’artistes, nous réalisons des auditions, nous voyageons pour entendre et découvrir de nouveaux talents. En fait, à Pesaro, il n’y pas vraiment de distinction entre l’administratif et l’artistique, tant les deux sont liés.
Pourquoi revenir à Armida, déjà montée en 1993, et en confier, de nouveau, la mise en scène à Luca Ronconi ?
Armida est, à la fois, un titre très rare et très particulier dans la série des opéras napolitains de Rossini. Tellement particulier, d’ailleurs, qu’il avait déconcerté les spectateurs de la création au Teatro San Carlo, le 11 novembre 1817. Luca Ronconi, figure légendaire de la mise en scène s’il en fut, n’était pas complètement satisfait de son travail de 1993. Nous lui avons donc proposé de remettre l’ouvrage sur le métier. Mais il ne s’agira pas d’une reprise ! Le climat de cette production sera très différent de celui de la précédente, qui renvoyait au cinéma américain des années 1930. Cette année, la magicienne évoluera dans un univers fabuleux, inscrit dans une perspective intemporelle.
En 1993, Renée Fleming incarnait Armida. En 2014, ce sera une jeune Espagnole peu connue, Carmen Romeu, issue de l’« Accademia Rossiniana ». Pourquoi les grands chanteurs ont-ils tendance, depuis plusieurs années, à disparaître des affiches du Festival ?
D’abord, Renée Fleming n’était pas, en 1993, la vedette qu’elle est devenue ensuite. Ensuite, le niveau de notre Académie a considérablement monté depuis une décennie. Chaque année, nous recrutons entre quinze et dix-huit chanteurs, sur quelque deux cents candidats (deux cent trente en 2014 !). Ce sont souvent de jeunes professionnels, qui ont déjà entamé une carrière. Pendant un mois et demi, nous les formons au style rossinien et leur niveau, en règle générale, passe de 7 à 9 sur une échelle de 10. Grâce à l’enseignement qu’ils reçoivent, bien sûr, mais aussi à l’émulation que constitue leur participation à la production d’Il viaggio a Reims, programmée tous les étés. Puis, pour certains d’entre eux, nous leur confions des seconds rôles, les deux années qui suivent, avant de les distribuer, si leur évolution le permet, dans des premiers. Cela a été le cas, par exemple, d’Olga Peretyatko, désormais lancée dans une grande carrière internationale, de Marina Rebeka ou de Yijie Shi. Quant à Carmen Romeu, c’est l’une des étoiles montantes du chant espagnol. Avec Alberto Zedda, nous croyons beaucoup en elle. Mezzo clair à l’origine, elle possède, en plus, une tessiture particulièrement bien adaptée aux emplois conçus à l’intention d’Isabella Colbran. Depuis plusieurs années, en effet, nous faisons le choix de distribuer ces rôles, sollicitant autant le grave que l’aigu, à des mezzos. Avec, à l’arrivée, d’éclatantes réussites, comme lorsque Sonia Ganassi a abordé Elisabetta (Elisabetta, regina d’Inghilterra) et Elcia (Mosè in Egitto).
Comment avez-vous eu l’idée de fonder le Festival de Pesaro ?
En 1969, j’ai eu le bonheur d’assister, à la Scala de Milan, à une représentation d’Il barbiere di Siviglia, dirigée par Claudio Abbado et basée sur la toute nouvelle édition critique d’Alberto Zedda. En entendant cette musique débarrassée des mauvaises traditions qui l’encombraient, j’ai éprouvé un choc ! Et je suis rentré chez moi, convaincu de la nécessité de revisiter l’intégralité du patrimoine rossinien, alors réduit à une poignée de titres. Devenu adjoint à la Culture de la Ville de Pesaro, légataire universelle de la fortune du compositeur, j’ai proposé au conseil municipal le projet d’un festival-laboratoire de musicologie appliquée, où les productions se baseraient sur les éditions critiques des opéras, au fur et à mesure de leur avancement. Le projet a été accepté et nous avons profité, en 1980, de la réouverture du Teatro Rossini restauré, pour lancer la manifestation, qui a immédiatement reçu un excellent accueil public et critique.
Quelle est la structure institutionnelle du Festival ?
D’abord géré directement par la commune, il est devenu « Ente Autonomo » en 1985, puis « Fondazione » en 1994. Son conseil d’administration, présidé par le maire de Pesaro, réunit les principales institutions culturelles de la Ville et de la Région, ainsi que les sponsors. Alberto Zedda et moi-même n’en faisons pas partie ; en revanche, nous venons, chaque année, y défendre notre projet pour l’édition à venir.
Après trente-quatre années d’existence, comment voyez-vous l’avenir du Festival ?
Je suis très optimiste. Si je ne l’étais pas, nous aurions déjà fermé boutique ! Avec l’expérience, nous avons appris à monter des productions à moindre coût, sans pour autant renoncer à inviter de grands metteurs en scène, décorateurs et costumiers qui aiment le Festival et, à leur manière, le soutiennent.
Quel est votre plus beau souvenir ?
C’est un peu comme demander à une mère lequel de ses enfants elle préfère ! Sans doute la résurrection d’Il viaggio a Reims, en 1984, qui a coïncidé avec l’envol international du Festival. Je me souviens de mon émotion en voyant, l’année suivante, la retransmission télévisée du concert « Rossini à Versailles », dans lequel Ruggero Raimondi interprétait l’air de Don Profondo, « Medaglie incomparabili ». Là, j’ai vraiment compris qu’il s’était passé quelque chose…
Aujourd’hui, les spectacles se répartissent entre deux lieux : l’Adriatic Arena et le Teatro Rossini. Sauf que l’un est trop grand, trop loin, et doté d’une acoustique peu satisfaisante, et l’autre trop petit… La municipalité envisage-t-elle de doter le Festival d’un théâtre moderne de capacité suffisante ?
Le projet d’un lieu polyvalent existe. Mais l’époque, malheureusement, n’est pas trop propice aux investissements : Scavolini, notre principal sponsor, a lui-même des problèmes… Difficile, donc, de trouver des financements, alors qu’une étude de l’Université d’Urbino a montré que, pour un euro investi dans le Festival, la Ville en récupérait sept !
Avez-vous une idée des titres que vous programmerez dans les années à venir ?
En 2015, nous referons La donna del lago avec, nous l’espérons, Juan Diego Florez, et nous proposerons une nouvelle production de La gazzetta, enrichie du quintette récemment retrouvé à la Bibliothèque de Palerme ; la mise en scène en sera confiée à Elio De Capitani. Pour 2016, nous pensons à Ricciardo e Zoraide, mais ce n’est encore qu’une option…