Le 23 mars, en version de concert, avec Annick Massis dans le rôle-titre, l’Opéra de Marseille redonne sa chance à une partition oubliée d’André Messager, tirée d’un roman de Pierre Loti ayant également servi de source d’inspiration à Puccini pour Madama Butterfly. Intitulée « comédie lyrique », Madame Chrysanthème a vu le jour à Paris, en 1893, avant de connaître quelques reprises sporadiques jusqu’aux années 1920. Puis le silence, à l’exception d’un concert de la RTF en 1956, avec Janine Micheau en tête d’affiche, dont Malibran Music a publié l’écho en CD.
De la gravité, de l’esprit, du rire et des larmes… André Messager (1853-1929) se sentait à l’aise dans ce cercle d’émotions familières. Madame Chrysanthème, adaptée d’un des romans les plus populaires de Pierre Loti, se présente à juste titre comme une « comédie lyrique ». Mais, si son dénouement est moins tragique que celui de Madama Butterfly de Puccini (qui puise indirectement à la même source), il reste qu’on n’attendrait pas dans ce registre doux-amer le compositeur des P’tites Michu, de L’Amour masqué ou de Coups de roulis. Il ne faudrait pas oublier que, si Messager a généreusement alimenté le répertoire lyrique léger, il ne s’en est pas tenu là. En témoignent Isoline (1888) et La Basoche (1890), qui ont précédé Madame Chrysanthème (1893), puis Le Chevalier d’Harmental (1896), Fortunio (1907), Béatrice (1914) et Monsieur Beaucaire (1919), qui lui ont succédé.
Formé à l’École Niedermeyer, dont l’enseignement (très différent de celui du Conservatoire, car destiné aux futurs organistes) reposait sur l’étude du plain-chant et de maîtres anciens, Messager avait eu pour tuteur le jeune Gabriel Fauré et pour mentor Camille Saint-Saëns, ardent prosélyte du répertoire -germanique : la musique instrumentale et vocale de Bach à Schumann, les poèmes symphoniques de Liszt, les opéras romantiques de Wagner… Cette double formation, où archaïsme et chromatisme se complétaient, suffirait presque à définir son style. Bientôt titulaire de l’orgue de chœur à la Madeleine, Messager y dialoguait d’égal à égal avec Charles-Marie Widor qui s’en souviendra : « Grand orgue et orgue de chœur se répondaient du tac au tac, saintement, liturgiquement, en parfaite harmonie. Souvent, l’un proposait un thème que l’autre développait. »
De façon plus coquine, Messager et Fauré improvisaient à quatre mains dans le salon de Mme de Saint-Marceaux et les Souvenirs de Bayreuth sur des thèmes de la Tétralogie (découverte, en réalité, à Munich) ont dû naître dans ces circonstances. Un voyage à Bayreuth, pour y écouter Parsifal et Tristan und Isolde, les aurait tentés mais ils n’avaient pas les moyens de se l’offrir. Une loterie fut donc organisée par la maîtresse des lieux et le bénéfice couvrit les frais. Messager devait retourner à Bayreuth en 1888, pour Die Meistersinger von Nürnberg, et encore en 1896, pour la Tétralogie. Plus tard, à l’Opéra de Paris, il eut l’occasion de diriger tous ces ouvrages qu’il connaissait par cœur.