Souvent présenté comme une adaptation bâclée d’I Lombardi alla prima crociata (1843), le douzième opéra de Verdi, créé à Paris, le 26 novembre 1847, entre les murs de l’Académie Royale de Musique, est en réalité un authentique chef-d’œuvre du répertoire français, dont on s’explique mal la rareté sur les affiches. L’Opéra Royal de Wallonie a la bonne idée de lui redonner sa chance, à partir du 17 mars, sous la baguette de Speranza Scappucci et dans une mise en scène de son directeur général et artistique, Stefano Mazzonis di Pralafera.
Le retour de Jérusalem est l’occasion de libérer cette œuvre mal connue de la gangue d’a priori et de clichés qui, trop souvent, l’entoure encore. En voici un résumé. Paris, 1847 : pressé par le temps, Verdi, occupé à honorer sa maîtresse Giuseppina Strepponi, retirée de la scène, aurait surmonté ses griefs contre la capitale française et son premier théâtre lyrique, pour bricoler à la hâte une œuvre nouvelle à partir de ses Lombardi alla prima crociata de 1843. Afin de complaire au public louis-philippard, il aurait remodelé sa partition en cédant à la mode du « grand opéra », avec sa pompe, ses ors, son spectaculaire et, last but not least, son ballet.
De fait, le compositeur entretient avec notre Opéra (alors Académie Royale de Musique) des rapports quasi amoureux, avec ce que cela comporte d’attirance, de jalousie voire, à l’occasion, de dépit. Paris n’est-elle pas encore, en ces années, une ville phare disposant de la plus grande institution lyrique -européenne ? Verdi n’y viendra-t-il pas une trentaine de fois, seul ou avec la Strepponi, la plupart du temps à l’occasion d’une reprise de l’un de ses opéras, assistant alors aux répétitions, fréquentant les théâtres, en homme cultivé au fait des œuvres de Hugo et Dumas notamment ? Certes, il dénigre les productions locales de Nabucco, Ernani ou I due Foscari, dénonçant tripatouillage des partitions, longueur et médiocrité des répétitions, mais la « Grande Boutique » le fascine autant qu’elle l’exaspère.
Venu à Paris en 1845, après la création italienne de sa Giovanna d’Arco, toujours est-il qu’il accepte, cette fois, un contrat, non pour un nouvel opéra, mais pour une refonte d’I Lombardi, tout en surjouant son abdication. « Il ne me reste qu’un parti à prendre : me présenter avec un grand opéra, réussir ou en finir pour toujours », déclare-t-il de manière quasi cornélienne ! On le sait, au demeurant, sensible au « grand opéra » et, précisément, à Meyerbeer, découvert en Italie, en 1834, à travers Robert le Diable. En 1845, les chœurs de Giovanna d’Arco portaient déjà l’empreinte de ceux dudit Robert.
Qu’en est-il, cela étant, du climat musical parisien dans lequel va naître, le 26 novembre 1847, le douzième opéra de Verdi ? À la veille de la révolution de 1848, le public de la monarchie de Juillet, surtout celui de l’Opéra – installé, depuis août 1821, Salle Le Peletier – par opposition à l’Opéra-Comique et au Théâtre des Italiens, est constitué de nouveaux riches, ignorants des racines aristocratiques de l’art lyrique, de Lully, de Rameau ou des étrangers qui leur succédèrent, tels Gluck et Cherubini. Un public déjà infidèle à Rossini, retourné en Italie, malgré ou à cause de Guillaume Tell, et laissant la place à Donizetti, gravement malade en 1847. Il convient de se souvenir que, bien en amont du Guillaume rossinien, le Fernand Cortez de Spontini (1809) avait offert une lointaine anticipation de ce fameux « grand opéra » dont Meyerbeer allait populariser l’emphase. Or, le goût dominant est bien encore conditionné par cet Allemand nourri de vocalité italienne mais épousant les manières françaises, cultivant un style monumental, les sujets historiques, mais aussi le divertissement du ballet prisé de ces classes bourgeoises.