Le Palazzetto Bru Zane-Centre de musique romantique française et la compagnie Les Brigands unissent leurs efforts pour ressusciter Les Chevaliers de la Table ronde, « opéra-bouffe » d’Hervé, créé à Paris, le 17 novembre 1866. L’occasion de vérifier que celui que l’on surnommait le « compositeur toqué » était passé maître dans l’art de la parodie loufoque, registre dans lequel la postérité a préféré retenir le nom de Jacques Offenbach, son contemporain et concurrent. Cette nouvelle production prend la forme d’une tournée, qui commencera à l’Opéra National de Bordeaux, le 22 novembre, et se poursuivra jusqu’au printemps 2016, avec notamment des étapes à Reims, Nantes, Angers, Rennes et Venise. Après un portrait d’Hervé par lui-même, Opéra Magazine donne la parole à deux des maîtres d’œuvre de cette résurrection : Pierre-André Weitz, qui en signe la mise en scène, les costumes et la scénographie, puis Thibault Perrine, chargé de la transcription musicale pour treize chanteurs et douze instrumentistes.
Construire des décors, fabriquer des costumes, dessiner, jouer la comédie, chanter : on a véritablement l’impression que vous savez tout faire ! Avec Les Chevaliers de la Table ronde, vous signez aujourd’hui votre première mise en scène lyrique. De qui l’idée est-elle venue ?
La demande est venue de la compagnie Les Brigands ; ils me connaissaient en tant que scénographe et m’ont confié ce qui sera effectivement ma première mise en scène lyrique. Avec le Palazzetto Bru Zane, ils m’ont procuré la partition ; je l’ai trouvée formidable et joyeuse, et j’ai accepté la proposition. Ce sont les contrastes qu’elle offre qui m’ont intéressé : certains moments font penser à de la musique de cirque ou de la musique militaire, d’autres sont très raffinés ; il suffit parfois de deux accords pour que le monde s’ouvre. Au début, je me suis focalisé sur l’air « des Chevaliers », qui sera repris par toute la troupe, et qui m’a fait hurler de rire. Au fur et à mesure que je les lisais, les airs se gravaient dans ma tête.
Il existe deux versions de l’ouvrage ; laquelle avez-vous retenue ?
Nous avons choisi la version de 1866, la première. Au niveau de la musique de la langue, elle m’a paru plus pertinente. La deuxième version, celle de 1872, propose de trop nombreuses modifications : d’abord, Roland n’est plus aussi amoureux ; ensuite, des clins d’œil à l’époque – le droit à la grève que Napoléon III, via la loi Ollivier, venait de légaliser en 1864 et que les saltimbanques de la pièce réclament, ainsi que la crise de la soie qui venait de frapper l’industrie du textile – sont éliminés. De même, des scènes clownesques ont disparu, entre autres celle du rasage. Le feu d’artifice permanent de la première version a bien moins de force dans la seconde. J’ai aimé l’idée de travailler sur le premier jet, pas sur un matériau qui avait été revu.
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Chargé de la transcription pour treize chanteurs et douze instrumentistes des Chevaliers de la Table ronde, qu’avez-vous pensé à votre premier contact avec la partition ?
C’est la première fois que la compagnie Les Brigands monte un ouvrage d’Hervé, et j’avoue que c’est un compositeur que je connaissais à peine. Ce qui m’a frappé dès le départ, c’est que cette musique fonctionne beaucoup par son rythme ; c’est inévitable dans un « opéra-bouffe », le genre nécessite de la vitalité et du dynamisme, mais dans le cas présent, le rythme participe complètement à la construction et à la structure de l’œuvre.
Est-ce la seule originalité musicale ?
Non. J’ai réussi à me procurer une copie du manuscrit conservé à la Bibliothèque Nationale de France, donc j’ai pu me faire une idée précise de l’orchestration. Si on la compare à celle d’Offenbach, le rival auquel on oppose toujours Hervé, on constate que sa texture est très particulière ; je n’avais jamais rencontré cela avant. Dans l’écriture des cordes, le violoncelle prend une importance capitale, tantôt seul, tantôt associé aux vents, et cela donne une couleur originale. Il peut intervenir aussi comme instrument mélodique. C’est étonnant, parce que dans ce répertoire, ce n’est pas dans l’orchestration que le compositeur met le plus de lui-même, surtout lorsqu’il s’occupe des basses.