Révélée en Cio-Cio-San dans Madama Butterfly, la soprano française est enfin sortie de sa chrysalide. Elle incarne Blanche, dans Dialogues des Carmélites, à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, du 21 au 29 juin, puis Micaëla, dans Carmen, aux Chorégies d’Orange, le 8 juillet.
Comme de nombreux chanteurs, Alexandra Marcellier a d’abord été instrumentiste. À la suite de la venue d’une musicienne intervenante, Monica Saintot, dans sa classe de maternelle, la petite fille exprime le souhait d’apprendre le violon. Elle débute les cours, à 6 ans, avec celle qui l’a séduite, et lui restera fidèle jusqu’à son entrée au Conservatoire de Perpignan, à l’adolescence. Passionnée par l’instrument, elle s’y consacre totalement, menant en parallèle cursus académique et participation à des concerts symphoniques. Très vite, elle sait qu’elle veut être musicienne professionnelle et abandonne le lycée.
La découverte de Cecilia Bartoli, dans une émission télévisée, va toutefois bouleverser ses plans. Alexandra Marcellier parle d’un « électrochoc » qui la conduit à changer de voie musicale. Elle s’achète en cachette Le Chant pour les nuls, afin d’acquérir les bases de cette nouvelle discipline. Après une audition devant Daniel Tosi, le directeur du Conservatoire de Perpignan, elle obtient son soutien pour se réorienter. Au culot, elle contacte Françoise Pollet via Facebook, et celle-ci lui conseille de travailler avec Maryse Castets.
Timidité maladive
Le premier contact téléphonique avec l’enseignante est un succès, et grâce au soutien de Daniel Tosi, Alexandra Marcellier parvient à intégrer sa classe au CRR de Bordeaux, en cours d’année. Suivent six ans de travail avec la soprano, durant lesquelles Alexandra Marcellier parvient, notamment, à vaincre sa timidité maladive.
C’est là, aussi, qu’elle rencontre la mezzo Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, qui va devenir son amie la plus proche. Les deux jeunes chanteuses se construisent ensemble et se soutiennent. Car, si les prédispositions vocales d’Alexandra Marcellier ne font aucun doute, elle rencontre un temps des difficultés techniques sur le plan respiratoire. Elle consulte d’abord un kinésithérapeute, puis décide de chercher conseil auprès de Silvana Bazzoni Bartoli, lors de master classes, à Gstaad. La mère – et unique professeur – de Cecilia Bartoli lui apprend à connaître et à maîtriser son instrument interne, puis l’oriente vers le répertoire puccinien, qui correspond selon elle à sa voix de soprano lyrique.
Après ses années fructueuses à Bordeaux, Alexandra Marcellier achève ses études, en 2017, prête à brûler les planches. Mais lors des auditions, les professionnels craignent que cette voix hors du commun ne soit qu’un feu de paille. Elle s’entend dire qu’elle est trop jeune pour ce timbre, et pour les personnages qui vont avec, principalement des premiers rôles. Personne n’ose prendre le risque de l’engager et c’est la traversée du désert, pendant quatre ans. Encouragée par Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, elle passe une audition devant Béatrice Uria-Monzon, à Agen.
Après l’avoir entendue dans Micaëla (Carmen) et dans Isabelle (Robert le Diable), l’interprète mythique de Carmen décide de l’aider. Elle ne la lâchera plus, lui obtenant plusieurs auditions, souvent hélas restées sans suite… jusqu’à Saint-Étienne. Depuis des mois, Jean-Louis Pichon, directeur historique de l’Opéra, devenu conseiller aux distributions vocales, cherche une Cio-Cio-San (Madama Butterfly). Grâce à la recommandation de Béatrice Uria-Monzon, Alexandra Marcellier peut se présenter dans la cité stéphanoise.
La tête sur les épaules
Juste après, le Covid verrouille le monde, et la jeune chanteuse n’a aucune nouvelle des suites de son audition. Il faudra un an, pour qu’elle apprenne qu’elle a obtenu le rôle. Comme elle le souligne, le « ciel [lui] tombe sur la tête », mais elle s’empresse d’apprendre la partition. En 2021, à 28 ans, sans expérience, la soprano débute sa carrière avec un premier rôle. Elle sait que le milieu musical attend le moindre faux pas, mais c’est un triomphe, et la reconnaissance tant attendue est enfin au rendez-vous.
Les engagements s’enchaînent alors : une nouvelle Butterfly, à Monte-Carlo, une Vitellia (La clemenza di Tito), en tournée européenne avec Cecilia Bartoli, une Alice Ford (Falstaff), à Nice, Blanche de la Force (Dialogues des Carmélites), à Liège, etc. Il n’aura ainsi fallu que l’audace d’un directeur de théâtre, pour que sa carrière prenne corps. Et que la profession l’adoube également, en la désignant « Révélation Artiste Lyrique », en 2023, aux Victoires de la Musique Classique.
Si elle peut enfin se réjouir de sa situation, Alexandra Marcellier n’en garde pas moins la tête sur les épaules. Sachant que rien n’est jamais gagné, elle entretient un rapport très sain à son métier, qu’elle considère comme un travail classique. « Quand je rentre chez moi, je mets mon pyjama, mes Scholl et je regarde une série sur Netflix », souligne-t-elle avec humour. Cela ne l’empêche pas de souhaiter aborder d’autres personnages de Puccini (Tosca, Mimi dans La Bohème, Manon Lescaut), mais aussi de Richard Strauss (Salome, la Maréchale dans Der Rosenkavalier) et de Mozart (Elettra dans Idomeneo, Donna Elvira dans Don Giovanni, Fiordiligi dans Cosi fan tutte).
À 30 ans, Alexandra Marcellier voit les portes s’ouvrir, et elle aimerait pouvoir aider d’autres jeunes chanteurs qui, comme elle, n’ont pas suivi la voie royale des conservatoires nationaux et des académies. Elle voudrait montrer que l’on peut être « une provinciale », comme elle se qualifie, et réussir, malgré tout, à vivre de sa passion.
Propos recueillis par Katia Choquer