Le 24 juillet, le Festival Radio France Occitanie Montpellier redonne sa chance à un titre mythique du répertoire français, l’un de ces opéras dont parlent tous les dictionnaires et encyclopédies, mais que l’on ne joue jamais. Créée à la Monnaie de Bruxelles, en 1897, l’« action musicale » de Vincent d’Indy n’a, apparemment, plus jamais été donnée dans l’Hexagone depuis 1962. Le nouveau concert programmé à l’Opéra Berlioz sera donc l’occasion de découvrir, dans ce midi de la France où se déroule l’action, une partition passée à la postérité comme un manifeste du wagnérisme, alors qu’elle s’avère nettement plus complexe dans ses influences. Sous la baguette de Michael Schonwandt, la distribution s’annonce à la hauteur de l’événement, avec Michael Spyres, Jean-Sébastien Bou et Gaëlle Arquez dans les trois rôles principaux.
Homme de caractère, à une époque de violents affrontements, Vincent d’Indy ne se survit qu’avec d’irréparables cicatrices. Ses engagements, artistiques ou politiques, l’ont amené à prendre des positions qu’avec plus d’un siècle de distance, nous pouvons critiquer. Il serait pourtant réducteur de ne voir en lui que le pourfendeur des avant-gardes et le disciple de Wagner, dont l’un des grands mérites, à ses yeux, avait été de libérer la musique française du « joug italo-judaïco-éclectique » (La Revue musicale, octobre 1923).
Né en 1851, décédé en 1931, Vincent d’Indy conserve l’image d’un aristocrate, à cheval sur des principes qu’il devait autant à son éducation qu’à la mission qu’il s’était assignée. Même ceux qui ne partageaient pas ses idées ne pouvaient ainsi que reconnaître son intégrité, sa noblesse d’âme, sa détermination. Sous la plume incisive de Claude Debussy, auquel on l’a si souvent opposé, des qualités pas si fréquentes lui sont attribuées : « sereine bonté », « hauteur de vue », « probité artistique », « hardiesse tranquille à aller plus loin que lui-même » (Monsieur Croche et autres écrits, Gallimard, éd. revue et augmentée, 1987).
Du portrait haut en couleur qu’en trace Henry Prunières, retenons ensuite ces quelques lignes : « On l’imagine, au Moyen Âge, Abbé réformant la règle de son monastère ou grand Pape déchaînant contre les ennemis de Dieu une nouvelle croisade… Il compose ses œuvres comme ces moines bâtisseurs de cathédrales, qui faisaient alterner le travail et la prière. Sa foi semble ignorer l’angoisse et l’extase… Dans son art comme dans son âme, tout est certitude, logique rigoureuse et clarté » (Cinquante Ans de musique française, de 1874 à 1925, ouvrage collectif, tome 2, Librairie de France, 1925).
Même approche de la part de Romain Rolland qui, après avoir noté qu’« il n’y a pas d’ombres en lui… pas d’esprit plus français », termine son étude par cette belle déclaration de principe : « Qu’il ne voie dans ces pages qu’un effort sincère pour le comprendre, et une grande sympathie pour sa personne, et même pour ses idées, que d’ailleurs je ne partage point. Mais j’ai toujours pensé que les opinions étaient de peu de prix dans la vie, et que seul importait l’homme. La liberté d’esprit est le plus grand des bonheurs ; il faut plaindre ceux qui ne le connaissent point. Il y a une douceur secrète à rendre hommage à de belles croyances qui ne sont pas les nôtres » (La Revue de Paris, 15 janvier 1902, texte repris dans Musiciens d’aujourd’hui, Hachette, 1908).
Ce souci d’objectivité, à l’abri de vaines polémiques, se reconnaît dans la plupart des ouvrages qui, avec plus ou moins de recul, ont voulu analyser aussi bien l’homme que son œuvre. Citons, en premier lieu, la biographie en deux volumes de Léon Vallas (Vincent d’Indy, Albin Michel, 1946 & 1950), qui repose sur des souvenirs personnels, ainsi que sur une précieuse documentation. Quelques années plus tard, Jean et Francine Maillard en retiennent l’essentiel, tout en y ajoutant quelques éléments nouveaux (Vincent d’Indy, le maître et sa musique, Zurfluh, 1994). Davantage de recul critique et des approches universitaires d’une grande variété caractérisent le recueil intitulé Vincent d’Indy et son temps (Mardaga, 2006), publié sous la direction de Manuela Schwartz, sur la lancée d’un colloque tenu à la Bibliothèque Nationale de France, en septembre 2002. Ombres et lumières y sont abordées avec le même sérieux.
À retenir, enfin, dans les colonnes d’Opéra Magazine, l’article de présentation consacré par Gérard Condé à L’Étranger (Bruxelles, 1903), à l’occasion de sa reprise au Festival Radio France Occitanie Montpellier, en 2010 (voir O. M. n° 53 p. 27 de juillet-août). Il débute par un parallèle inattendu, tracé entre Vincent d’Indy et Pierre Boulez, où l’on peut lire ceci : « Chez l’un comme chez l’autre, doués d’un solide métier musical plutôt acquis hors de l’enseignement du Conservatoire, l’intelligence supérieure combinée avec une étrange étroitesse d’esprit produit les plus savoureuses contradictions ; et leur partialité cinglante à l’égard de ce qui les heurte est rachetée par une générosité d’idéaliste. » Solide métier, contradictions, idéalisme : autant de termes qui peuvent également s’appliquer à la composition de Fervaal.