Le 1er janvier prochain, Cecilia Bartoli deviendra officiellement directrice de l’Opéra de Monte-Carlo. Le 16 septembre dernier, entourée de sa nouvelle équipe, elle a présenté sa première saison, qui s’étendra du 20 janvier au 22 avril 2023, lors d’une conférence de presse, à laquelle Christian Wasselin était invité pour Opéra Magazine. Notre correspondant en a profité pour interviewer le prédécesseur de l’illustre diva, Jean-Louis Grinda, qui a dressé le bilan de ses quinze années de mandat, marquées par d’éclatantes réussites.
Cecilia Bartoli lève le rideau
16 septembre 2022, jour de liesse à Monte-Carlo : sur la place du Casino, les voitures rutilent. À l’intérieur, la foule des abonnés de l’Opéra s’apprête à entrer dans la salle où Cecilia Bartoli, nouvelle directrice de la maison, va présenter la saison 2023. L’ambiance est bon enfant, avec cette petite excitation qui vous vient avant la distribution des gourmandises.
Midi : on ouvre les portes, les abonnés s’installent sur les fauteuils. Ils sont manifestement chez eux dans cette salle, inaugurée en 1879, puis reconfigurée, quelques décennies plus tard, au grand dam de Charles Garnier, son auteur, quand il s’est agi de la munir d’une fosse et de cintres pour en faire un vrai théâtre d’opéra. Sur la scène : un piano, une table, cinq chaises et un écran tout au fond. Le noir se fait, les orateurs ne vont plus tarder. En effet : voici venir la nouvelle directrice et son prédécesseur Jean-Louis Grinda, mais aussi Gianluca Capuano, chef principal de l’orchestre Les Musiciens du Prince-Monaco depuis 2019, ainsi que le baryton Oliver Widmer, époux de Cecilia Bartoli et directeur délégué de l’Opéra, et Magdalena Grob, désormais adjointe à la direction, chargée de la communication.
Prestige, grandeur et intimité
Oliver Widmer ouvre les débats, avant de laisser la parole à Cecilia Bartoli. Qui salue d’abord l’institution : « J’aime à penser que ma première saison lyrique reflète certaines de ses caractéristiques, telles que je les vois : un regard attentif posé sur l’histoire, mais aussi tourné vers son avenir ; une variété de styles et de genres ; du prestige, de la grandeur, mais aussi de l’intimité ; et, bien sûr, la plus haute exigence d’exécution pour les spectacles présentés. » Hommage est rendu, au passage, aux équipes de l’Opéra, à « leur savoir-faire et leur engagement personnel ».
Cecilia Bartoli s’exprime dans un français coloré d’une pointe d’accent. Son ensemble de soie s’inscrit parfaitement dans les ors de cette Salle Garnier, que l’on pourrait comparer à un galion. Elle décrit d’ailleurs la saison comme un voyage, lequel couvrira trois siècles et, précise-t-elle, est aussi à l’image de son parcours personnel. « M’inscrire dans l’histoire du théâtre » : tel était le souhait de Jean-Louis Grinda quand il fut nommé directeur, en 2007. Cecilia Bartoli ne dit pas autre chose : elle aimerait « construire sur les fondations posées avec tant de succès » par son prédécesseur.
Haendel, rossini et giordano
Le rideau se lèvera, le 20 janvier, sur Alcina – une première en version scénique, à Monte-Carlo –, dans une coproduction avec l’Opernhaus de Zurich, signée Christof Loy, dont le public monégasque a pu voir, en 2019, l’Ariodante. Cecilia Bartoli incarnera la magicienne, entourée de Philippe Jaroussky, Sandrine Piau et Varduhi Abrahamyan. Sur l’écran est projeté un petit film qui, comme pour chacun des spectacles annoncés, a pour fonction de mettre en appétit le public. Plus tard dans la saison, le 16 avril, Cecilia Bartoli reviendra à l’Opéra, cette fois pour Rosina dans Il barbiere di Siviglia, mis en scène par Rolando Villazon pour l’édition 2022 du Festival de Salzbourg.
Andrea Chénier suivra Alcina, le 19 février, avec Maria Agresta, Claudio Sgura et Jonas Kaufmann, qui chantera pour la première fois à Monte-Carlo. Cet ouvrage tient particulièrement au cœur de Cecilia Bartoli : « Mon père, qui avait une voix de ténor dramatique exceptionnelle, chantait le rôle d’Andrea Chénier, lorsque j’étais enfant. » C’est aussi un souvenir personnel qui justifie le récital de piano donné par Daniel Barenboim, le 10 mars, « qui m’a découverte quand je n’étais qu’une très jeune chanteuse ».
Verdi, Mozart et Monteverdi
Le 17 mars, ce sera l’heure de La traviata, dans une reprise de la mise en scène de Jean-Louis Grinda, avec Javier Camarena pour son premier Alfredo Germont, Aida Garifullina en Violetta Valéry et, en alternance, Placido Domingo et Massimo Cavalletti dans le rôle de Giorgio Germont.
Mozart ensuite : en juillet dernier, l’Opéra de Monte-Carlo et Les Musiciens du Prince-Monaco ont proposé une « Semaine Rossini », au Staatsoper de Vienne ; juste retour des choses, Monte-Carlo accueillera, le 20 mars, des Nozze di Figaro viennoises, avec troupe, chœur et orchestre, ce dernier dirigé par Philippe Jordan, au grand complet.
L’Orfeo de Monteverdi, enfin, annoncé pour le 17 avril, avec la participation de la compagnie de marionnettes Carlo Colla & Figli, permet à Cecilia Bartoli d’évoquer l’activité de l’orchestre Les Musiciens du Prince, qui se produit aussi lors de tournées internationales : après le Festival de Pentecôte de Salzbourg, ce sera la Scandinavie et, de nouveau, Salzbourg, en août 2023.
On précisera qu’en dehors des Musiciens du Prince, le Chœur de l’Opéra et l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo demeurent les deux autres piliers de l’institution : ils donneront le Stabat Mater de Rossini, le 25 janvier, avec Maria Agresta, Varduhi Abrahamyan, Celso Albelo et Ildebrando D’Arcangelo.
Cecilia Bartoli remercie Les Amis de l’Opéra, les mécènes, la famille princière, et tient à jouer jusqu’au bout son double rôle de directrice et de chanteuse. La voici qui se lève et interprète Ti voglio tanto bene d’Ernesto De Curtis, accompagnée au piano par Gianluca Capuano, puis, sur un mode plus endiablé, la Canzonetta spagnuola de Rossini.
CHRISTIAN WASSELIN
Jean-Louis Grinda sur le départ
Vous allez quitter l’Opéra de Monte-Carlo, le 31 décembre…
J’en suis le directeur depuis 2007. Il faut savoir quitter ses fonctions, surtout quand on a la chance de choisir la date de son départ et le nom de son successeur ! Un théâtre doit être dirigé par un artiste, et j’ai toute confiance en Cecilia Bartoli, dont la nomination a été annoncée dès 2019. Elle connaît bien la maison pour y avoir donné des récitals et y avoir chanté plusieurs rôles importants, comme Norma, en 2016. À partir de 2023, il me restera les Chorégies d’Orange, ce qui n’est pas une mince affaire, et mon activité de metteur en scène, qui me garantit un calendrier rempli jusqu’en 2026 !
Quel était votre souhait, il y a quinze ans ?
M’inscrire dans l’histoire du théâtre ! La Salle Garnier a accueilli la création de Pénélope de Fauré, La rondine de Puccini, L’Enfant et les sortilèges de Ravel, sans oublier sept opéras de Massenet… Au départ, il s’agissait de distraire ceux qui jouaient au Casino. Raoul Gunsbourg (1860-1955), directeur de 1892 à 1951, a renversé la proposition, d’abord en transformant une salle dépourvue de fosse et de cintres en vrai théâtre lyrique, puis en invitant les plus grands chanteurs : Nellie Melba, Félia Litvinne, Enrico Caruso, Fiodor Chaliapine, etc. Gunsbourg avait également le souci des mises en scène : dès 1905, il incorpore les décors lumineux d’Eugène Frey. J’ai tenu pour ma part à présenter des œuvres, fussent-elles célèbres, qui n’avaient jamais été à l’affiche : des Verdi de jeunesse (Stiffelio, I masnadieri, Attila, I due Foscari), Lady Macbeth de Mtsensk de Chostakovitch, Le Joueur de Prokofiev, plusieurs opéras de Janacek, dont Jenufa, la version originale de Boris Godounov, ou encore Wozzeck, que nous avons donné dans une production de Michel Fau. C’est aussi à l’Opéra de Monte-Carlo qu’a été créée Die Marquise von O… de René Koering, en 2011.
Vous avez voulu, avant votre départ, rendre hommage à Raoul Gunsbourg…
S’il fallait que je cite un de mes regrets, j’avouerais que j’aurais bien aimé programmer un opéra de Gluck. Mais je m’en serais voulu de m’en aller sans avoir monté La Damnation de Faust, dont Gunsbourg avait signé la première mise en scène jamais réalisée, ici même, en 1893. Ce sera chose faite, le 13 novembre (1). Nous serons fidèles à la partition de Berlioz, que Gunsbourg avait un peu malmenée pour les besoins du spectacle. On pourra voir et entendre cette Damnation de Faust au Grimaldi Forum, comme l’exige la tradition, lorsque les représentations coïncident avec la Fête nationale monégasque, le 19 novembre. Une exposition consacrée à Gunsbourg se tiendra au même moment, du 13 au 27 novembre, et j’achèverai mon mandat avec Lakmé, en version de concert, les 9 et 11 décembre, à l’Auditorium Rainier III.
Ces dernières années ont aussi été marquées par la création d’un nouvel orchestre : Les Musiciens du Prince-Monaco…
Cette idée est née des discussions que j’ai eues avec Cecilia Bartoli, au moment de ses premiers concerts. Cette formation, née en 2016 et dirigée par Gianluca Capuano, permet d’aborder le répertoire qui va de Haendel à Rossini – l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, dont le directeur musical est Kazuki Yamada, se chargeant des œuvres plus tardives. Les Musiciens du Prince-Monaco sont régulièrement présents à Salzbourg ; ils sont invités au Concertgebouw d’Amsterdam, à l’Elbphilharmonie de Hambourg, à la Philharmonie de Paris… Ils assurent une présence de la Principauté partout en Europe. J’ajoute qu’il existe à l’Opéra un Chœur, dirigé par Stefano Visconti, et que nous nous appuyons sur les jeunes élèves de l’Académie Rainier III, qui ont tous une formation de chant choral, pour réunir un chœur d’enfants quand les ouvrages l’exigent.
Vous aviez également conçu une Académie de jeunes chanteurs russes…
Qui a connu trois éditions, et qui s’appuyait sur la Fondation Medvedeva. Les circonstances ont voulu qu’elle n’existe plus.
Propos recueillis par CHRISTIAN WASSELIN
(1) L’entretien a été réalisé le 16 septembre 2022.