Teatro Real, 2 mai
Le choix de Joan Matabosch, directeur artistique du Teatro Real, était, à la fois, audacieux et logique : confier à Laurent Pelly, vierge de tous états de service wagnériens, mais expert en comédies, Die Meistersinger von Nürnberg – le projet ayant germé, en 2019, alors qu’il montait Falstaff, à Madrid.
Le metteur en scène français situe l’œuvre, dont il veut souligner les dimensions humaniste et universelle, dans un univers de survivants, plus que de dominateurs. Il campe, ainsi, l’action dans un monde « détruit, instable et symbolique », vaste plateau bordé d’immenses parois de guingois, comme soufflées par une explosion – celle du fond s’élèvera, pour laisser apparaître un paysage de montagne, tenant lieu de prairie finale. Nuremberg est un conglomérat de petites maisons de carton, et, dans l’atelier de Sachs, il y a plus de livres encore que de chaussures, autre façon de braquer les projecteurs sur l’art et la culture, plutôt que sur les éléments nationalistes du livret.
L’époque n’est pas précisée, mais le contraste est criant, entre des maîtres engoncés dans leurs redingotes, avec des trognes à la Daumier, prisonniers du passé et dépassés par le monde qui les entoure, celui des années 1930 ou 1940, et des apprentis d’une vitalité brûlante.
La lecture de Laurent Pelly est éblouissante de virtuosité théâtrale dans les scènes chorales, révélant un impressionnant mélange de fluidité et d’élégance, d’inventivité et d’intelligence. Les tableaux plus intimes sont réussis aussi, mais avec moins de brio, et sans toujours la profondeur qu’on a, parfois, pu voir ailleurs.
Dès l’Ouverture – donnée rideau fermé –, Pablo Heras-Casado laisse entendre qu’il ne tombera pas dans le piège du martial et du ronflant, en soulignant ce que la partition peut offrir de générosité et d’épicurisme. Sous la baguette du chef espagnol, les cuivres de l’orchestre du Teatro Real brillent de tous leurs feux, mais le grandiose n’est jamais pompier.
On connaît le Sachs de Gerald Finley, un peu trop clair, parfois, et à la projection limitée, mais finement caractérisé et, surtout, éminemment attachant. Son « Wahn ! Wahn ! » peut, malgré tout, sembler affecté et, plus gênant encore, « Selig, wie die Sonne » n’est pas le miracle attendu, faute d’un équilibre parfait entre les cinq protagonistes – le baryton-basse canadien se révélant peu audible.
Sans être le plus éclatant des Walther, le ténor croate Tomislav Muzek séduit par son lyrisme élégant, ses couleurs et son legato. Le baryton britannique Leigh Melrose est un excellent Beckmesser, même si Laurent Pelly lui impose un personnage trop constamment caricatural, avec un festival de grimaces, empruntées autant à Paul Préboist qu’à Antoine de Caunes (alias Gérard Languedepute dans Nulle part ailleurs)…
Si la mezzo biélorusse Anna Lapkovskaja souffre d’un aigu bien strident en Magdalene, l’enthousiasme est total pour son David, le ténor allemand Sebastian Kohlhepp, aussi bon chanteur que formidable comédien. Du côté de la famille Pogner, on loue la discrète solidité du père, incarné par la basse coréenne Jongmin Park, mais on est plus réservé sur la fille.
En effet, Nicole Chevalier n’est pas idéalement crédible dans le rôle d’une Eva campée, ici, comme très juvénile. Et il y a, plus d’une fois, quelque chose d’artificiel, de brutal même, dans la façon qu’a la soprano américaine de forcer certains aigus, sans parler d’un vibrato un peu trop large.
NICOLAS BLANMONT