En duo avec le claveciniste Ronan Khalil, Samuel Hengebaert a fondé ActeSix, ensemble à géométrie variable, dont le répertoire s’étend du baroque au contemporain. Nouvelle étape de cette aventure musicale – peu – commune, le label Oktav Records publie son premier album, Hambourg 1700. Plongée dans un pan méconnu de l’histoire de l’opéra allemand, avec l’altiste et directeur artistique du projet.
Comment l’idée de consacrer un album entier à la naissance de l’opéra dans la ville de Hambourg, à l’orée du XVIIIe siècle, vous est-elle venue ?
L’origine d’un programme musical est souvent liée à une anecdote. Pour Hambourg 1700, tout a commencé un soir, après un concert. Avec Eugénie Lefebvre et Lucile Richardot, nous cherchions des noms de cantatrices célèbres, quand nous sommes tombés sur la Fräulein Conradi, une star de la scène de l’Opéra de Hambourg au début du XVIIIe siècle. De là, nous nous sommes mis à chercher les ouvrages dans lesquels elle avait chanté, et nous avons découvert un répertoire lyrique immense, quasiment inconnu en France, qui comprenait les premiers opéras de Haendel, ceux de Matheson, Telemann, Theile, etc. Une somme de pages de musique toutes plus belles les unes que les autres. Et c’est ainsi que l’aventure a démarré !
Comment avez-vous choisi les musiciens qui vous accompagnent, mais avant tout les œuvres du programme ?
L’idée était d’amener le public à découvrir la richesse du répertoire créé à Hambourg. Nous avons donc voulu inviter le spectateur à passer une soirée dans cette maison mythique, en faisant en sorte qu’il ait vraiment l’impression d’être assis dans un fauteuil de l’Oper am Gänsemarkt (près du Marché aux oies, où le théâtre était situé). La forme d’un opéra imaginaire s’est très vite imposée, et nous avons choisi le mythe d’Orphée pour trame de fond : cela donnait un repère d’écoute et de compréhension à l’auditeur, qui suit une histoire assez connue, tout en voguant à la découverte de musiques inédites. Il nous fallait ensuite impérativement des musiciens spécialisés dans ce répertoire, des personnes de confiance avec qui nous travaillons depuis longtemps, et qui avaient envie de faire découvrir cette belle musique au public d’aujourd’hui. Au fil des répétitions, nous avons tissé une belle complicité, en particulier avec les trois chanteurs, la soprano Eugénie Lefebvre, la contralto Lucile Richardot, et le baryton Etienne Bazola.
Cet album nous interroge-t-il aussi sur la difficulté du financement de l’opéra aujourd’hui ?
Ce rapprochement est intéressant. S’il y a un parallèle à faire, il me semble qu’il concerne la difficulté à financer une commande de musique contemporaine – en particulier celle d’un nouvel opéra –, dont la création coûte cher, sans garantie ensuite de remplir les salles… À l’époque, la naissance de l’opéra hambourgeois fut une vraie révolution : il a été le tout premier opéra public de l’espace germanique. C’était un vrai pari, mais il a porté ses fruits, puisqu’il a permis la création de 250 œuvres lyriques en langue allemande, en soixante ans d’existence, depuis l’ouverture du théâtre, en 1678, jusqu’à sa fermeture, en 1738.
Hambourg 1700 est le premier album publié sous le label Oktav Records, que vous venez de créer avec Ronan Khalil. Un pari audacieux dans un contexte où le disque est en perte de vitesse…
Il y a bientôt deux ans, Ronan Khalil et moi avons fondé ActeSix, un ensemble qui propose des programmes inédits mêlant musique baroque et contemporaine. Le but était de sortir des sentiers battus, mais il est très difficile pour un artiste seul de porter ce genre d’initiative, parce que les programmateurs achètent ce qu’ils connaissent. En groupe, cela devenait possible ! Ensuite, les choses se sont enchaînées assez vite, et il a fallu trouver un moyen d’enregistrer ces programmes, justement pour les faire connaître. C’est ainsi que nous avons eu l’idée de créer Oktav Records, un label de musique classique indépendant, qui accueille aussi bien de la musique ancienne que des créations contemporaines. Si la voix est souvent au cœur de notre travail, nous tenons surtout à représenter le paysage musical classique d’aujourd’hui. Nous nous sommes entourés d’artistes différents et d’une équipe administrative venue d’horizons divers : le photographe vient du rock, la chargée de communication de la scène électro, la community manageuse du journalisme… Nous aimons dire que nous sommes un label fait par des artistes pour des artistes. Et cela change véritablement la donne !
N’est-il pas difficile de conjuguer vie d’artiste et d’entrepreneur, de surcroît dans sa propre structure ?
Si… et en même temps, un musicien ne peut plus, aujourd’hui, se permettre de rester uniquement derrière son pupitre. Nous jonglons tous avec plusieurs responsabilités : il nous faut à la fois gérer notre agenda, trouver nos prochains concerts, financer nos albums, trouver des mécènes potentiels, etc. Le Covid a transformé notre quotidien en profondeur, car nous avons dû trouver des solutions par nous-mêmes après ces mois de silence. Ce constat est partagé par nombre d’artistes autour de nous, qui veulent désormais garder un contrôle sur leur avenir. Donc oui, cela demeure difficile, car il s’agit d’un investissement colossal en parallèle de notre travail mais, en ce qui me concerne, je le vois aussi comme une manière très concrète pour l’artiste de réinvestir l’espace décisionnaire.
Propos recueillis par EDOUARD BRANE
À écouter :
Hambourg 1700, extraits d’opéras d’Antonio Sartorio, Agostino Steffani, Reinhard Keiser, Georg Philipp Telemann, Johann Mattheson et Georg Friedrich Haendel, avec ActeSix, Eugénie Lefebvre (soprano), Lucile Richardot (contralto) et Etienne Bazola (baryton), sous la direction de Samuel Hengebaert, CD Oktav Records OKT001.