Interview Nathanaël Tavernier, une basse française au se...
Interview

Nathanaël Tavernier, une basse française au seuil de la maturité

26/06/2024
© Heleni Genoa

39 ans, jeune âge, encore, pour une basse. Surtout lorsque, comme cet ancien maîtrisien, récemment aguerri dans la troupe du Badisches Staatstheater de Karlsruhe, elle tutoie les grandes profondeurs. Son été sera belcantiste, avec Le Comte Ory, et le rare Masaniello de Michele Carafa, en juillet, au Royal Opera Festival de Cracovie, puis au Festival « Rossini in Wildbad ».

La musique avait-elle une place dans votre famille ?

La musique a toujours fait partie de ma vie, mais plutôt dans ce qu’elle induisait sur mon corps en mouvement. Car ma mère en mettait à la maison, pour danser avec moi ! C’est à partir de la classe de sixième, quand je suis entré à la Maîtrise de la Loire, où j’ai reçu une formation très complète – technique vocale, bien sûr, mais aussi solfège, claviers, et même composition –, que mon rapport à cet art a changé. Pendant ces années, plusieurs découvertes ont été primordiales : le répertoire sacré, nos concerts de Spirituals, mais surtout, la master class de Pierre-Yves Pruvot sur Winterreise de Schubert. Pour un adolescent de 15 ans, quel enchantement ! Ayant mué très tôt, ma voix a mis du temps à se révéler – on m’a, d’abord, pensé ténor, puis baryton… Mais comme, pendant mon année de troisième, elle gagnait, chaque semaine, un demi-ton supplémentaire dans le grave, à la fin de cette « descente infernale », mon professeur s’est dit que je devais être basse !

Le chemin a-t-il été long, jusqu’à envisager de devenir chanteur soliste professionnel ?

Relativement long. Bien que je n’aie jamais cessé de chanter, notamment en ensemble vocal, pour financer mes études, je ne pensais pas forcément en faire mon métier. Étant fan de musique électronique et de hip-hop, j’ai un temps envisagé de devenir MC, c’est-à-dire maître de cérémonie, aux platines… Mais j’ai compris que, si faire danser les autres était grisant, la catharsis à laquelle le public peut accéder dans le classique, à travers ces grands rituels que sont la musique sacrée ou l’opéra, tout en instruments naturels et vibrations humaines, était, en fait, plus profonde, et même plus mystique ! En 2009, je suis entré à la HEM de Genève, dans la classe de Gilles Cachemaille, où j’ai pu faire l’apprentissage du grand répertoire, tout en touchant au baroque, à la commedia dell’arte et au contemporain, avec des spécialistes, dans chacun de ces domaines. Puis, j’ai passé deux ans à l’Opéra Studio de l’Opéra National du Rhin, où j’ai participé à quantité de productions. En particulier deux, montées par Robert Carsen : La Dame de pique et Don Carlo. Observer de près Filippo II et le Grand Inquisiteur, que j’espère aborder un jour, quel privilège ! J’ai poursuivi cette formation sur le terrain, en étant, pendant trois saisons, membre de la troupe du Badisches Staatstheater de Karlsruhe. J’y ai appris le labeur, l’endurance et la créativité, en alternant rôles majeurs et secondaires, mais aussi la nécessité de se renouveler sans cesse.

Vous participez, cet été, à deux productions données, à la fois, d’abord au Royal Opera Festival de Cracovie, puis au Festival « Rossini in Wildbad » : Le Comte Ory, en version scénique, et Masaniello de Michele Carafa, en concert…

Le Gouverneur, dans Le Comte Ory, est très différent de Basilio (Il ­barbiere di Siviglia), mon seul rôle rossinien jusqu’à présent. Comme beaucoup de basses, ce personnage est, surtout, un pivot dramatique. Il n’a pas d’identité propre, on ne le nomme que par sa fonction. C’est un anti-­héros touchant, comme Leporello (Don Giovanni). Masaniello de Carafa est plus proche de Bellini et Donizetti, pour la grâce de certaines cantilènes, et l’écriture du corsaire Ruffino est résolument belcantiste – un répertoire que j’espère continuer à explorer. Participer à ces deux productions est une chance. Et l’occasion de retrouver Antonino Fogliani, au pupitre du Comte Ory, et ces merveilleux chanteurs que sont Patrick Kabongo, chez Rossini, et Catherine Trottmann, chez Carafa.

Votre prochaine saison semble marquer une accélération dans votre carrière…

J’aurai la joie d’aborder Sparafucile (Rigoletto), au Welsh National Opera, et plusieurs rôles en France : Nourabad (Les Pêcheurs de perles), à Dijon, ainsi que Sarastro (Die Zauberflöte), à Rennes, Nantes et Angers.

D’autres rôles se profilent-ils à l’horizon ?

Le répertoire germanique m’est très cher. J’espère aborder mes premiers rôles wagnériens, mais aussi le Baron Ochs (Der Rosenkavalier) ! Je voudrais, également, continuer à interpréter le répertoire baroque, que j’ai pratiqué avec Emireno, dans Ottone de Haendel, ou Adamas, dans Les Boréades de Rameau, ainsi que la musique contemporaine. J’ai, ainsi, chanté François Tortebat, dans Die schwarze Maske de Krzysztof Penderecki, pour la Radio Polonaise.

À l’opéra, avez-vous retrouvé cette dimension physique, expérimentée dans votre enfance, lorsque la musique mettait en mouvement tout votre corps ?

J’ai été engagé pour Sparafucile, à Cardiff, dans une mise en scène très physique, précisément parce que l’on cherchait un artiste lyrique possédant des qualités de danseur. J’en ai fait l’expérience, à Karlsruhe : dans l’air de bravoure d’Emireno, la chorégraphie de mes cascades a été appréciée… Lorsque je ressens que les exigences et défis scéniques sont fondés, je peux me donner à 100 % ! La condition essentielle, pour moi, est de mettre en lumière la beauté du rituel que j’ai évoqué plus tôt.

Propos recueillis par THIERRY GUYENNE

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