Interview Nadine Sierra : « Je n’ai pas encore atte...
Interview

Nadine Sierra : « Je n’ai pas encore atteint la maturité vocale que j’aimerais avoir. »

12/01/2022
Nadine Sierra au Meurice
© Maxime Pierre

Elle était une Gilda superlative dans Rigoletto à l’Opéra de Paris en octobre dernier et nous la retrouverons à Paris le 18 février pour un concert Be Classical à la Salle Gaveau. En attendant, la soprano que tout le monde s’arrache en ce moment sera Lucia dans Lucia di Lammermoor au Teatro San Carlo de Naples à partir du 15 janvier.

Comment se construit la carrière d’un chanteur lyrique ?

Je dirais 3 choses essentielles. D’abord, énormément de soutien de la part des proches. C’est très important. Ce soutien a un réel impact chez les chanteurs, reconnus ou pas, parce que nous autres chanteurs sommes très durs envers nous-mêmes.

Ensuite, il faut travailler avec un excellent professeur de chant avec qui on peut grandir au fil des années, à qui on peut faire confiance émotionnellement aussi. Chanter ce n’est pas qu’une histoire de mécanismes laryngés, c’est intimement lié aux affects, à notre état émotionnel. Il faut donc un professeur qui soit évidemment un bon technicien mais qui donne aussi des perspectives en termes de cheminement vocal. Pour ma part, j’ai le même professeur depuis presque 20 ans, il est un véritable pilier dans ma carrière.

Enfin, un mélange de patience et d’humilité. La voix prend du temps à se développer. Je chante professionnellement depuis que j’ai 16 ans et j’en ai maintenant 33 et je n’ai pas encore atteint la maturité vocale que j’aimerais avoir mais je suis bien sûr très différente de me débuts. Et l’humilité parce que trop d’ego et de fierté en peuvent être délétères et on risque de faire des mauvais choix qui peuvent être fatidiques.


Nadine Sierra au Meurice

© MAXIME PIERRE

Ce doit être compliqué de dire « non » à des rôles qui ne sont pas adaptés à sa voix mais qu’on a très envie d’interpréter ?

Chanter, c’est le travail de toute une vie et il ne faut pas être impatient et brûler les étapes. C’est un peu comme vouloir le dessert avant le plat de résistance. Si on fait ça tout le temps, si on mange trop de desserts, on devient obèse ! Peut-être que certaines personnes ne pensent pas en termes de longévité et prennent ce qui se présente et qui les intéresse à un instant T mais cela sera possible pendant … 10 ou 20 ans ? Je ne veux pas ça.

Je ne fais pas ce métier pour seulement gagner ma vie ; j’aime profondément l’opéra et cet art est devenu encore plus sacré pour moi en vieillissant. Le respecter et lui faire honneur ça passe aussi en prenant soin de moi et de ma voix, et l’ego n’a pas sa place là-dedans. Cependant, j’espère pouvoir manger mon dessert dans quelque temps !

Et quel est ce dessert ?

Ce dessert c’est Mimi de La Bohème ! Mais mon palais s’est un peu diversifié et des rôles comme Desdemona dans Otello de Verdi m’intéressent beaucoup aussi. Je sens que mes envies se portent désormais sur un répertoire un peu plus lyrique et ma voix semble se développer dans cette direction. Je reste vigilante car je ne veux pas que des regrets soient associés à ma carrière.

Outre les aspects artistiques, il y a aussi une réalité financière à laquelle il faut penser dans la gestion de sa carrière sur le long terme.

Absolument ! L’instrument c’est notre corps et on vieillit. Si on pense à une vie de famille, il faut penser aux enfants, aux choix que l’on veut faire, aux voyages incessants … et à ce qui vient après notre carrière de soliste, ce sont des choses qu’il faut anticiper mais je n’en suis pas encore à ce stade (rires).

Vous chantez beaucoup de belcanto mais rien de Rossini. Est-ce un choix ou bien est-ce simplement parce qu’on ne vous a pas proposé de rôles ?

C’est un choix. J’adore Rossini mais je ne suis pas capable de rendre justice à ce compositeur. Je ne peux pas être aussi agile avec ma voix. Je peux vous assurer que j’ai essayé mais ce n’est pas pour moi et je ne peux pas faire semblant quand je chante. Ainsi, je préfère regarder des chanteurs qui maitrisent son écrite vocale. Rossini pour moi c’est comme regarder une danseuse étoile : c’est beau, ça semble très difficile et je ne me verrais jamais faire ça moi-même !

Envisagez-vous un jour de chanter les grands rôles belcantistes que sont Norma, Anna Bolena et Maria Stuarda ?

Oh oui, j’adorerais ça ! Pas dans l’immédiat mais ça devrait arriver. Je dois avouer que ça a été discuté avec mon professeur de chant et certains théâtres m’ont proposé un de ces rôles que j’ai accepté.

Je reste vigilante car je ne veux pas que des regrets soient associés à ma carrière. Nadine Sierra

Quels sont vos modèles ?

Mirella Freni pour la beauté du son et la sincérité de son chant mais aussi pour la longévité de sa carrière. Ses moyens vocaux colossaux lui auraient permis de chanter un répertoire encore plus large mais elle a toujours été très prudente et consciencieuse de son instrument. J’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour cette artiste.

Mariella Devia pour sa technique époustouflante et pour avoir gardé cette consistance tout au long de sa carrière. C’est vraiment remarquable !

Renata Scotto pour son dramatisme très singulier. Elle était unique en son genre, tout venait très naturellement dans ses choix scéniques dans les couleurs de sa voix.

Pas Maria Callas ?

Je suis assez partagée au sujet de Callas. Bien sûr que je l’admire mais je pense qu’elle a fait des choix personnels discutables au cours de sa vie. J’ai un peu de mal à me focaliser uniquement sur les qualités artistiques en faisant abstraction du reste. J’aime être un peu plus complexe que ça et appréhender les personnes dans leur globalité : le côté artistique mais aussi les choix de vie, les aspects plus personnels qui se répercutent sur la carrière d’un chanteur.

Je ne dis pas qu’elle était moins bonne que les autres, c’était une immense artiste mais puisqu’on parle de modèles, d’autres chanteuses m’inspirent davantage qu’elle.

Parlons un peu de technique : nombre de chanteuses émettent les contre notes en utilisant le registre de sifflet. Faites-vous partie de ces chanteuses ?

J’aime approcher le placement vocal pour les aigus de la même façon que je le fais pour le reste de la tessiture car je suis dans une constante recherche d’homogénéité dans la voix. J’aime avoir des aigus très pleins et projetés jusqu’à l’autre bout de la salle et avoir cette sorte de laser dans la voix comme l’a Devia. Ça a toujours été un but pour moi. Mon professeur le sait bien et c’est ce que l’on recherche à atteindre ensemble.

J’utilise le registre de sifflet simplement pour chauffer ma voix dans les vocalises et pour me préparer au chant à proprement parler. Cela permet d’étirer les cordes vocales parce que dans les aigus en voix de tête les cordes sont plus rigides et la vibration qui en émane est plus serrée.

Propos recueillis par Maxime Pierre

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