Aux antipodes de ces artistes lyriques dont la voie semble d’emblée toute tracée, Vannina Santoni aborde ses rôles, plus que des répertoires, avec cette liberté que lui autorise un soprano aux multiples facettes. Après sa première, et toujours unique Traviata au Théâtre des Champs-Élysées, sa Mélisande comme une évidence, à la scène et au disque, sous la baguette de François-Xavier Roth, elle s’empare de l’héroïne d’Iphigénie en Tauride de Gluck, à l’Opéra Orchestre National Montpellier.
« Les grandes figures dramatiques de la Grèce antique m’enthousiasment depuis mes années de collège ; ces souvenirs passionnés de mythologie viennent aujourd’hui nourrir mon interprétation d’Iphigénie. J’ai relu tout ce qui a trait aux Atrides, afin de bien comprendre l’identité de chaque personnage, tout en ayant besoin d’un ancrage géographique. C’est ainsi que j’ai réalisé, en me renseignant sur la Tauride, qu’il s’agissait de l’actuelle Crimée. Le climat est donc plus tempéré qu’en Grèce, ce qui me donne une idée de l’atmosphère de l’œuvre. J’aime, en revanche, ne pas savoir exactement quand l’action se situe, me la figurant de façon intemporelle. Il me semble difficile, en effet, de transposer cet ouvrage dans une histoire moderne, à moins de le faire avec intelligence et finesse.
Le poids de la malédiction familiale que la protagoniste porte en elle amène une dimension implacable, formidablement introduite par la puissance orchestrale de la tempête initiale. Afin que le personnage ne s’effondre pas face à la cruauté des hommes, il va me falloir trouver un héroïsme éloigné de son caractère, tel que je le perçois. Je me sens, en effet, très proche de l’humanité d’Iphigénie, dans son horreur des sacrifices qu’elle a pour mission d’ordonner. C’est ainsi que, pour mieux éprouver le poids qu’elle porte sur ses épaules, je peux m’appuyer sur l’actualité qui nous accable aujourd’hui, nous obligeant à trouver des choses toujours plus belles pour nous en sortir.
Ce répertoire est complètement nouveau pour moi, musicalement comme dramatiquement, et je vais m’efforcer de l’aborder avec simplicité, en me concentrant sur le texte et l’histoire. Le sommet reste pour moi le bouleversant air du second acte, « Ô malheureuse Iphigénie ! », où l’héroïne livre à Oreste la douleur de la perte de ses parents et de la malédiction, au terme d’un échange entre le frère et la sœur où se tisse une relation qui les dépasse tous deux, de l’ordre du mystique.
Le livret de cette tragédie lyrique est merveilleusement mis en musique, la prosodie n’étant jamais un obstacle. Gluck restitue la saveur et l’image des mots, ménageant de saisissants effets de surprise sur des valeurs plus ou moins longues. Les récitatifs me semblaient pourtant tous similaires au départ, mais le travail harmonique m’a aidé à les apprendre et à les différencier, alors que les airs sont plus faciles à retenir, la mélodie suivant les inflexions de la voix.
Mon expérience de Mélisande m’apporte énormément pour la précision du texte et les modulations de la langue. Chaque rôle me donnant quelque chose d’unique et me permettant d’avancer, celui d’Iphigénie pourrait, par son aura, me conduire vers Norma. L’enjeu est ici de parvenir à retranscrire l’émotion dans une ligne vocale qui m’est inhabituelle, en partant de ce qui est écrit sans en rajouter. En effet, cet opéra ne demande pas de pyrotechnies vocales, comme on est incité à en faire en Traviata ou en Juliette de Gounod : c’est avant tout du théâtre chanté. »
Propos recueillis par CHRISTOPHE GERVOT
À voir :
Iphigénie en Tauride de Christophe Willibald Gluck, avec Vannina Santoni (Iphigénie), Jean-Sébastien Bou (Oreste), Valentin Thill (Pylade), Armando Noguera (Thoas) et Louis Foor (Diane), sous la direction de Pierre Dumoussaud, et dans une mise en scène de Rafael R. Villalobos, à l’Opéra Orchestre National Montpellier, du 19 au 23 avril 2023.