En lui, le registre délicat de la haute-contre à la française a trouvé son champion le plus héroïque et le plus tendre. Le ténor belge consacre d’ailleurs une trilogie discographique, dont le dernier volet paraîtra à l’automne chez Alpha, à ses plus éminents représentants, Dumesny, Jélyotte et Joseph Legros. C’est aux mesures de ce dernier que Gluck retailla le rôle d’Orphée, pour la version parisienne de 1774. Reinoud Van Mechelen s’en empare, sous l’égide de Paul Agnew, son glorieux aîné, et des Arts Florissants.
« Composée à l’origine pour un castrat, la partie d’Orphée a été spécifiquement réécrite pour une haute-contre, alors que Joseph Legros était encore dans la première partie de sa carrière, où il chantait plus « à la française ». Et elle est clairement plus aiguë que les rôles que Gluck lui a destinés par la suite. Non que son style ait beaucoup évolué, mais il recherchait une couleur différente. Avec Les Arts Florissants, nous allons donner l’œuvre à un diapason français très bas, contrairement à celui que j’ai adopté pour le disque que j’ai consacré à ce chanteur avec mon ensemble A Nocte Temporis, parce qu’il existe des sources qui suggèrent que le la était alors à 413 Hz.
La longueur du rôle ne me fait pas peur, car j’ai donné beaucoup de récitals où je suis le seul chanteur de toute la soirée. Certains airs ne sont pas évidents du tout. Même si j’ai l’agilité requise par « L’espoir renaît dans mon âme », elle me demande du travail. Quant à « J’ai perdu mon Eurydice », on l’a tellement dans la tête qu’il faut faire en sorte qu’il ne sonne pas comme une publicité pour les pâtes. Afin que le public ressente vraiment ce qu’Orphée exprime. Et bien que la tessiture aiguë ne me pose pas de problème, c’est de la conjonction de tous ces éléments dans un seul et même rôle que vient sa difficulté.
Je suis content que Paul Agnew et moi relevions ce défi ensemble. Car il a été très important pour moi dans certaines phases de ma carrière, notamment au Jardin des Voix. C’est aussi avec lui que j’ai fait mon tout premier Évangiliste dans une Passion de Bach, à Liverpool. Nous partageons, sur le plan musical, des points de vue très proches. Et il comprend la difficulté d’être chanteur. Bien connaître le chef, mais aussi le chœur et l’orchestre, est évidemment rassurant, et c’est toujours un plaisir de les retrouver.
À la différence de La Descente d’Orphée aux Enfers – à mon sens la meilleure pièce de Charpentier –, dont la partition s’achève sur la mention « fin du deuxième acte », ce qui suggère que l’opéra n’est pas terminé, Eurydice est déjà morte au début de la version de Gluck. Seule la deuxième partie du mythe est traitée, et on plonge directement dans la tragédie. J’ai beau ne pas être le plus grand fan de la notion de bel canto – car pour moi, le chant est d’abord au service de l’émotion et du texte –, c’est bien la beauté de sa voix qu’Orphée emploie pour convaincre les dieux. D’où une certaine pression pour celui qui l’incarne ! »
Propos recueillis par MEHDI MAHDAVI
À voir :
Orphée et Eurydice de Christoph Willibald Gluck, avec Les Arts Florissants, Reinoud Van Mechelen (Orphée), Ana Vieira Leite (Eurydice) et Julie Roset (Amour), sous la direction de Paul Agnew, à la Philharmonie de Paris, le 20 février 2023.