Mon premier… Nikolaï Schukoff et Sophie Koch : Tristan und ...
Mon premier…

Nikolaï Schukoff et Sophie Koch : Tristan und Isolde

21/02/2023
Die Walküre à l’Opéra de Marseille. © Christian Dresse

Und. « Ce tendre petit mot, et, le lien d’amour », ainsi que l’écrit Wagner dans le livret de Tristan und Isolde. Ensemble, Sophie Koch et Nikolaï Schukoff ont incarné Kundry et Parsifal, puis Sieglinde et Siegmund, dans Die Walküre. Le Théâtre du Capitole de Toulouse les réunit, dans la reprise de la production de feu Nicolas Joel, pour sa première Isolde, et son premier Tristan. Réflexions en miroir sur leur prise des rôles-titre.

Nikolaï Schukoff : mon premier Tristan

« Comme mon nom ne l’indique pas nécessairement, je suis né à Graz, en Autriche, et l’allemand est ma langue natale – ce qui représente un vrai avantage quand on doit se confronter à la quantité de texte de Tristan. Il faut remonter à mon arrière-grand-père paternel, qui avait fui la Révolution de 1917, pour expliquer la consonance de mon patronyme. Je suis une espèce de caméléon : autrichien aux origines russes, vivant en France avec une épouse française. 

Le fait d’avoir chanté en troupe en Allemagne a été une base solide – à Mannheim notamment, j’ai interprété jusqu’à quarante opéras sur une saison ! Au bout de quelques années, il était devenu vital que je passe à autre chose. Mais aujourd’hui, le système de stagione ne me semble pas plus satisfaisant, car il surdéveloppe l’ego, l’avidité pour la célébrité… et le montant des cachets. Un très bon équilibre a été trouvé au Capitole de Toulouse : Christophe Ghristi est l’un des rares directeurs d’opéra qui essaie de fidéliser les chanteurs, et de créer un esprit de troupe. 

Mon parcours wagnérien s’est fait sur le long cours. J’ai chanté Parsifal, Erik, Lohengrin, Siegmund, mais aussi, en 2006, au Châtelet, le Siegfried de Götterdämmerung, très différent vocalement de celui du précédent volet du Ring. Il demande moins d’endurance, plus de souplesse, et même une base mozartienne pour les imitations de l’oiseau. Mais Tristan est un accomplissement, un Everest musical. 

Il faut s’y préparer très en avance, et tenter de comprendre pourquoi Wagner a eu besoin d’écrire une œuvre aussi pessimiste. Ensuite, il est nécessaire d’écouter tout ce qu’on peut trouver comme enregistrements, de découvrir les différentes traditions d’interprétation. Il y a tant à apprendre des chanteurs du passé. Je suis d’ailleurs collectionneur d’autographes que je déniche sur Ebay, chez les antiquaires ou aux puces !


Nikolaï Schukoff. © DR

Wagner disait à Mathilde Wesendonck, sa muse, qu’une bonne représentation de Tristan und Isolde doit rendre le public fou. Chanter très bien ne saurait suffire : il faut maîtriser les mots, leur double sens, tout ce qui se trouve entre les lignes, et apprendre à gérer la longueur de l’ouvrage, ainsi qu’une écriture parfois à la Beethoven, avec des tessitures tendues. Nous allons d’ailleurs faire la coupure habituelle dans la première moitié du duo du deuxième acte, qui peut être un redoutable casse-voix. 

Et je ne vous parle même pas du dernier acte – que nous donnerons en intégralité – avec, pour Tristan, ces trois longues montées sur quarante-cinq minutes, où il faut freiner son tempérament pour arriver au bout. C’est un peu ouvrir la boîte de Pandore. J’ai tellement bien fait de refuser le rôle à l’Opéra de Lyon, il y a douze ans. C’était vraiment prématuré. J’avais en revanche auditionné à la même époque pour Tannhäuser au Festival de Bayreuth. Une vraie catastrophe, j’ai craqué tous mes aigus. Un signe du destin sans doute.

Aujourd’hui, à 53 ans, il y a une forme de logique à accepter Tristan. Et avec une partenaire comme Sophie Koch, quand on est en confiance, nos forces sont démultipliées. Je suis aussi très heureux d’avoir Frank Beermann au pupitre. C’est un Kapellmeister à l’ancienne, qui accompagne les voix avec beaucoup de calme. Du pain bénit pour moi qui suis nerveux. Après avoir travaillé pendant vingt ans tout seul, il m’a aussi semblé nécessaire de reprendre contact avec des professeurs. Je vois depuis quelques années Deborah Polaski, et depuis peu Wolfgang Millgramm, qui a chanté Tristan.  

Le fait d’avoir toujours chanté de l’opérette m’a aidé à conserver une certaine souplesse. Le plus important, à mes yeux, reste de ne pas avoir la voix qui bouge. Il n’y a rien de pire qu’un vibrato tellement ample qu’on finit par ne plus entendre les hauteurs. Je ne suis d’ailleurs pas un ténor né. J’ai commencé comme baryton, et pour des rôles tels que Tristan, c’est presque une force, tant le médium est sollicité. » 


Nikolaï Schukoff (Parsifal) et Sophie Koch (Kundry), dans Parsifal de Wagner mis en scène par Aurélien Bory, au Théâtre du Capitole.
© Cosimo Mirco Magliocca

Sophie Koch : ma première Isolde

« Ce n’est pas moi qui ai pensé à Isolde. L’idée est venue de Christophe Ghristi. J’ai toujours été prudente dans ma carrière, c’est ma nature. J’ai besoin d’être rassurée. Arriver à Isolde aura été un long chemin. Octavian (Der Rosenkavalier), qui est mon compagnon de route depuis vingt-deux, ans, est un rôle idéal pour aborder Wagner – le chant straussien, avec ses exigences en matière de souffle, son legato, l’est de façon générale. 

Je suis passée par l’Ariane de Dukas, le rôle-titre de L’Africaine de Meyerbeer, mais tout cela reste difficile à comparer à Wagner, qui n’aime rien tant que les phrases longues qui se terminent dans l’aigu, et pompent une énergie énorme. J’ai commencé mon ascension avec Brangäne, au Covent Garden de Londres, puis Fricka, à l’Opéra de Paris. Certains ont prédit que j’allais m’abîmer. Honnêtement, comment peut-on se casser la voix avec Fricka ? J’ai abordé ensuite Venus, puis Kundry au Capitole Toulouse, et Sieglinde, l’an passé, à l’Opéra de Marseille, échelon après échelon. 

Le principal défi d’Isolde est la longueur du rôle plus que sa tessiture. Je me suis fait les muscles par étapes, depuis qu’on me l’a proposé il y a trois ans. Les résistances qui pouvaient apparaître au départ ont fini par céder avec le travail. L’anticipation est le seul moyen de gagner de la sérénité. La difficulté de mémorisation tient aussi à la langue elle-même : l’allemand de Wagner est moins actuel que celui de Hofmannsthal. 

On peut aborder Isolde par le bas, comme un mezzo, ou par le haut, si on est soprano. Mais chez les jeunes voix aigües, c’est souvent le bas médium qui fait défaut. J’ai écouté Kirsten Flagstad que j’admire beaucoup, et reste fascinée par l’impression qu’elle donne de peu chanter, de peu soutenir, à l’inverse de ce qu’on entend aujourd’hui. 


Sophie Koch (Kundry) dans Parsifal de Wagner mis en scène par Aurélien Bory, au Théâtre du Capitole.
© Cosimo Mirco Magliocca

Je m’inspire de Waltraud Meier, dont le secret a toujours été le calme. Il ne faut pas foncer tête baissée sur le premier monologue. On peut déjà y mettre toute la voix, mais surtout pas toute la hargne, sans quoi on ne tiendra jamais la distance. J’aime sentir dès le départ l’ambiguïté d’Isolde vis-à-vis de Tristan, son mélange d’attraction et de méfiance. Elle résiste, ne veut pas s’avouer les choses – le philtre n’est qu’un révélateur. 

Chez Wagner, le théâtre prend sa source dans le mot, on peut colorer les phrases et les sentiments avec les nuances, le rubato, tout en restant dans une forme de bel canto. L’acte le plus périlleux reste d’ailleurs le premier, malgré le volume de l’orchestre au deuxième. Quant au dernier, c’est, là encore, la sérénité qui permet de faire une belle mort. 

Je suis très heureuse de faire ma première Isolde au Capitole, dans le spectacle de Nicolas Joel, dont j’étais très proche. Je suis sûr qu’il sera là, dans les murs, pour ce tournant de ma carrière. Le plus cocasse, c’est que je viens de chanter Marcelline des Nozze di Figaro ! Je suis bien consciente qu’à 54 ans, on commence à penser à moi pour ce genre d’emploi. Je suis dans un entre-deux, plus vraiment jeune, pas encore complètement vieille. On me demande Geneviève, dans Pelléas et Mélisande, la Première Prieure de Dialogues des carmélites, la Nourrice de Die Frau ohne Schatten. C’est le moment ou jamais de chanter Isolde ! »

Propos recueillis par YANNICK MILLON et MEHDI MAHDAVI

À voir :

Tristan und Isolde de Richard Wagner, avec Nikolai Schukoff (Tristan), Matthias Goerne (König Marke), Sophie Koch (Isolde), Pierre-Yves Pruvot (Kurwenal) et Anaïk Morel (Brangäne), sous la direction de Frank Beermann, et dans une mise en scène de Nicolas Joel, à l’Opéra National du Capitole de Toulouse, du 26 février eu 7 mars 2023.

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