Mon premier… Lawrence Brownlee : ma première Platée
Mon premier…

Lawrence Brownlee : ma première Platée

09/06/2022
© Shervin Lainez

Telle une rencontre, désirée autant que redoutée, parfois, la prise d’un rôle emblématique du répertoire constitue une étape marquante, voire un tournant décisif dans une carrière lyrique. Parce que c’est une femme, dans un opéra baroque, qui plus est français, Platée est un triple défi, même pour un rossinien de haute voltige comme Lawrence Brownlee. Le ténor américain raconte sa métamorphose en nymphe batracienne sur le scène du Palais Garnier.

« Quelle n’a pas été ma surprise quand Alexander Neef, le directeur de l’Opéra de Paris, m’a dit penser à moi pour le rôle-titre de Platée de Rameau, voici presque trois ans ! Je n’en connaissais pas une note, mais n’étant pas du tout spécialiste du baroque, j’avais toujours pensé que ce type d’ouvrage n’était pas pour moi. Il a insisté, m’assurant que cela me conviendrait parfaitement, et me conseillant de regarder la partition. Même après avoir constaté que je pouvais effectivement la chanter, j’ai beaucoup hésité.

Car j’ai beau avoir déjà interprété Le Comte Ory, La Favorite et La Fille du régiment, sans oublier Nadir des Pêcheurs de perles, et ma diction française être, je crois, assez bonne… pour un Américain, c’est tout autre chose de chanter du Rameau devant un public français, à Paris. De surcroît avec un chef et un metteur en scène français, au sein d’une distribution française. J’ai néanmoins fini par me convaincre que cela valait la peine d’essayer de relever cet énorme challenge : à bientôt 50 ans, je peux bien prendre certains risques pour élargir mon répertoire.

Quatre semaines de répétitions ne sont pas de trop pour une prise de rôle si périlleuse. Lawrence Brownlee

Lors de ma préparation, j’ai écouté Jean-Paul Fouchécourt et Paul Agnew au disque, et regardé la vidéo de la production de l’Opéra de Paris. Cela m’a beaucoup aidé pour le style, tout en me confortant dans l’idée que je devais trouver mon propre chemin dans ce rôle, dont les difficultés sont multiples. Vocalement, certaines coloratures ne posent heureusement pas de problème à un chanteur rossinien. Mais la tessiture est très tendue, et pas question d’ aborder les aigus comme dans le répertoire romantique, avec une sonorité pleine et un soutien complet. Je dois ici beaucoup plus utiliser la voix mixte, et contrôler mon vibrato, voire faire certains sons droits, chose qui ne m’est pas du tout naturelle.

Il y a également tous ces soudains changements de mesure, qui obligent à compter tout le temps – ce à quoi je ne suis pas habitué. Enfin, une phrase comme « Je brouillerai, je troublerai mon onde » est redoutable à prononcer, surtout a tempo et en roulant les « r », comme mon coach le souhaite. Cela demande beaucoup d’entraînement. Bref, quatre semaines de répétitions avant la première ne sont pas de trop pour une prise de rôle si périlleuse !

Lawrence Brownlee (Il Conte d’Almaviva) dans Il barbiere di Siviglia de Rossini à l’Opéra Bastille en 2016 © Julien Benhamou

Heureusement, Laurent Pelly, que je connais bien – c’est notre sixième production ensemble – m’aide beaucoup. Déjà pour m’éclairer sur un livret bourré de références, notamment mythologiques. Et m’approprier ce personnage complexe, à la fois grotesque, tragique, pathétique, et attendrissant, qui doit faire rire, mais aussi émouvoir. Il me dit de me penser constamment, à la fois comme une femme – quoique de façon très différente du Comte Ory qui, même déguisé en Sœur Colette, reste un homme –, et comme un animal, dans cette production très amusante, mais également très physique.

Un grand défi, donc, mais très excitant… Et j’espère que si ma Platée plaît, elle amènera d’autres rôles. En particulier chez Gluck, Pylade d’Iphigénie en Tauride… et Orphée ! »

Propos recueillis par THIERRY GUYENNE

À voir :

Platée de Jean-Philippe Rameau, avec Les Musiciens du Louvre, Mathias Vidal (Thespis), Nahuel di Pierro (Un Satyre, Cithéron), Julie Fuchs/Amina Edris (Thalie, La Folie), Marc Mauillon (Momus), Tamara Bounazou (L’Amour, Clarine), Lawrence Brownlee (Platée), Jean Teitgen (Jupiter), Adriana Bignagni Lesca (Junon), Reinoud Van Mechelen (Mercure), sous la direction de Marc Minkowski, et dans une mise en scène de Laurent Pelly, à l’Opéra National de Paris, du 17 juin au 12 juillet 2022.

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