Les Dran sont ténors de père en fils. Et cette clarté, des mots comme du timbre, que Thierry, récemment, et trop tôt disparu, avait héritée d’André, il l’a transmise à Julien. Comme se confie, d’une génération à l’autre, le secret du chant français. Après Vincent, dans Mireille de Gounod, le troisième du nom s’empare, nouvelle étape d’une carrière exemplaire, du rôle-titre de Faust, à l’Opéra de Limoges.
« Faust n’était pas à l’ordre du jour lorsque l’Opéra de Limoges me l’a proposé, juste avant le confinement, et mon père me conseillait de ne pas l’aborder trop tôt. Les ouvrages de Gounod me touchent tant musicalement et vocalement que dramatiquement. Celui-ci m’incite à une réflexion sur moi-même. En effet, plus on vieillit, et plus on s’interroge sur les chemins que l’on n’a pas pris, et sur ceux que l’on désire emprunter. Faust se retrouve seul et passe par une telle prise de conscience. Pour nourrir ce personnage, il m’arrive de songer à Interstellar (2014) de Christopher Nolan, un film contemplatif où la question du temps est aussi très importante. Ce rôle marque un tournant dans ma carrière de chanteur, car lorsque le répertoire change, on ne peut non plus revenir en arrière.
D’un point de vue dramatique, la difficulté réside dans le passage d’un âge à l’autre. Faust se montre résigné et prêt à se donner la mort au commencement, mais il me faut ensuite chercher un caractère plus hésitant, en retrouvant une forme de pureté, où je distingue de furtives réminiscences de Gérald de Lakmé. À la fin du duo du jardin, le protagoniste est pareil à un adolescent envoyant dix textos par jour à celle qu’il aime. Bien que je me sente très éloigné de lui dans ses moments de fuite, mon travail doit avant tout permettre de ne pas voir Julien Dran lorsque je l’incarne.
Ces mouvements intérieurs sont facilités par la partition, grâce à des tempi clairement indiqués par le compositeur. La tessiture s’avère plutôt centrale au début, avant de monter jusqu’au contre-ut et au si bémol, pour atteindre un trio final particulièrement redoutable. Toute prise de rôle implique malgré tout des surprises, et je ne mesurerai la gestion de mon énergie qu’en temps réel – et ce dès la première musicale, car tout change avec l’orchestre.
Faust est un rôle lyrique imposant, mais je le crois désormais à ma portée. J’ai, en effet, abordé récemment le répertoire romantique français, avec Déjanire, une musique incroyable de Saint-Saëns, et Mireille, où j’ai eu l’intuition d’une ligne de chant qui m’était assez instinctive. Même si je l’interprétais comme du Mozart ou du Donizetti au début des répétitions, j’ai finalement trouvé une technique différente, en posant ma voix sans l’élargir, afin d’assumer des sons plus lyriques.
La vision des chorégraphes Claude Brumachon et Benjamin Lamarche, que j’ai rencontrés à Limoges sur la production de Faust nocturne d’après Olivier Py, va permettre d’explorer une autre approche du corps à l’opéra, en dépit des contraintes physiques d’un chanteur. Je me montre très ouvert aux nouvelles propositions, pourvu qu’il s’agisse d’un échange, mais il me semble important d’avoir des appréhensions pour aborder un rôle avec humilité. Je suis pour l’instant épuisé par La Dame blanche, que je viens d’interpréter à Limoges, mais il me tarde de faire ce spectacle, car mon enthousiasme revient toujours quand je chante la musique de Gounod. »
Propos recueillis par CHRISTOPHE GERVOT
À voir :
Faust de Charles Gounod, avec Julien Dran (Faust), Nicolas Cavallier (Méphistophélès), Anas Séguin (Valentin), Thibault de Damas (Wagner), Gabrielle Philiponet (Marguerite), Eléonore Pancrazi (Siébel) et
Marie-Ange Todorovitch (Marthe), sous la direction de Pavel Baleff (à Limoges) et Chloé Dufresne (à Vichy), et dans une mise en scène de Claude Brumachon et Benjamin Lamarche, à l’Opéra de Limoges, du 15 au 19 mars 2023, et à l’Opéra de Vichy, le 26 mars.