À l’Opéra-Comique, Frédéric Antoun a été, tour à tour, Gérald, dans Lakmé, aux côtés de Sabine Devieilhe, en 2014 puis l’automne dernier, et Des Grieux, aux prises avec la Manon de Patricia Petibon, en 2019. Il était donc naturel, en somme, que le ténor canadien incarne, face à la Carmen de Gaëlle Arquez, et dans une nouvelle production mise en scène par Andreas Homoki, et dirigée par Louis Langrée, son premier Don José.
« Je pensais aborder Don José plus tard, mais j’ai été convaincu par cette proposition en raison de la taille de la Salle Favart et du choix de l’Orchestre des Champs-Élysées, qui joue sur instruments d’époque avec des cordes en boyau, d’une sonorité moins métallique. De plus, l’Opéra-Comique m’a toujours été très fidèle, et c’est pour moi un honneur de chanter Carmen dans le lieu de sa création.
Don José est un personnage qui se montre d’emblée très sensible, attaché à son village et à sa mère, le contraste entre cette vulnérabilité et son extrême violence du dernier acte me semblant passionnant à interpréter. Je n’ai, en effet, jamais eu l’occasion de me lâcher à ce point dans un rôle, si ce n’est en Caliban, au caractère plus machiavélique, dans The Tempest de Thomas Adès. Les deux notes précédant le dénouement, sur « C’est moi », résument pour moi un destin en marche, plus fort que la volonté. Don José explose ainsi d’un coup, en perdant ses fondations à la mort de sa mère, et son honneur en devenant déserteur. J’aime alors son côté animal. Pour restituer cette violence qui m’est inhabituelle, je ferai appel aux sensations d’inconfort très physiques, que j’éprouve lorsque je fais du ski de fond en tee-shirt, par -10°, au Québec.
Il me faut toutefois préserver ma voix dans ces passages violents tout en restant lyrique, le chanteur se devant de garder son calme, même si le personnage ne se maîtrise plus. Le rôle de Narraboth, dans Salome, m’a permis de travailler le médium, mais celui de Don José, que je compare à Des Grieux, est beaucoup plus aigu. Je suis actuellement en répétitions, et le chef, Louis Langrée, souhaite que chaque voyelle ait sa propre couleur pour la clarté du texte. Les passages parlés, que j’ai déjà expérimentés dans Die Entführung aus dem Serail, ne me posent par ailleurs aucun problème, d’autant qu’ils ont été raccourcis sur cette production.
Don José est la figure centrale du spectacle d’Andreas Homoki, qui en fait un homme d’aujourd’hui se retrouvant aspiré dans une production de Carmen alors qu’il n’est pas chanteur, de la même façon que le protagoniste est absorbé par son histoire amoureuse. Je ramasse une partition posée à terre, que les enfants déchirent ensuite, lisant maladroitement les premières répliques avant d’entrer pleinement dans l’action. Je joue ainsi toute cette appropriation du personnage.
J’ignore pour l’instant vers quels autres rôles celui-ci me conduira, n’étant pas carriériste. Je suis en effet devenu chanteur un peu malgré moi, même si la musique a toujours été ma passion. Le concert me manque cependant, et j’aimerais en faire à nouveau pour reprendre sur scène ce dialogue avec l’orchestre. Je n’ai, malgré tout, de place en ce moment que pour Don José. Et ce qui me tient le plus à cœur, après cette Carmen, est de retrouver ma femme et mon fils, que je n’aurai pas vus pendant six semaines. Un projet à la fois ! »
Propos recueillis par CHRISTOPHE GERVOT
À voir :
Carmen de Georges Bizet, avec Gaëlle Arquez (Carmen), Elbenita Kajtazi (Micaëla), Norma Nahoun (Frasquita), Aliénor Fix (Mercédès), Frédéric Antoun (Don José), Jean-Fernand Setti (Escamillo), François Lis (Zuniga), Jean-Christophe Lanièce (Moralès), Matthieu Walendzik (Le Dancaïre) et Paco Garcia (Le Remendado), sous la direction de Louis Langrée (du 24 au 30 avril) et Sora Elisabeth Lee (les 2 et 4 mai), et dans une mise en scène d’Andreas Homoki, à l’Opéra-Comique, du 24 avril au 4 mai 2023.
