Sa Carmen a fait vibrer les Arènes de Vérone, qui l’attendent en Amneris. Avant son retour en France, pour deux prises de rôles : Gertrude, à l’occasion de la création de la version originale, pour ténor, d’Hamlet de Thomas au Festival de Radio France, à Montpellier, et Laura, dans La Gioconda de Ponchielli, aux Chorégies d’Orange. Mezzo d’ombre et de moire, Clémentine Margaine esquisse le portrait de ces femmes que tout oppose.
Ma première Gertrude
« Il est toujours intéressant, pour les opéras basés sur des sources littéraires, de les connaître ou de s’y replonger – sans non plus vouloir jouer les puristes. En effet, mieux vaut accepter la distance prise par les livrets, mais aussi la musique, qui donne un autre éclairage sur l’histoire. Par leur mélange, ces différents matériaux se nourrissent les uns et les autres.
Bien que je chante ma première Gertrude en concert, la manière dont John Osborn interprètera Hamlet aura un impact sur nos rapports mère-fils. Le fait qu’il soit ténor, et non baryton comme dans la version habituelle, apportera une couleur différente, par la dimension sans doute plus héroïque liée à cette tessiture. Plus juvénile aussi. Et peut-être sera-t-il plus simple, par le contraste avec ma propre voix, de trouver une cohérence dans notre lien. Je suis certes maman, mais d’un petit garçon de deux ans, ce qui n’a pas grand-chose à voir !
La maternité amène une maturité à tous les rôles que l’on incarne, et une vision différente de la vie et des relations entre les gens. Certains émotions sont plus faciles à exprimer, et je peux m’identifier davantage au personnage – même si je suis très loin des conflits qu’elle a avec Hamlet.
Quand on aborde une partition pour la première fois, le verdict ne tombe que le premier jour avec orchestre, lors du passage en 3D. Mais cette tessiture est très confortable pour moi, et Gertrude est exactement le genre de rôles qui me correspond en ce moment, et que j’ai envie de chanter. Je suis d’ailleurs en train de travailler Eboli – pour mes débuts, cet automne, dans Don Carlo, en italien, au Bayerische Staatsoper de Munich, puis dans Don Carlos, en français, au Lyric Opera de Chicago –, qui lui est très similaire sur le plan de la vocalité.
Ma première Laura
La Gioconda fait partie de ces ouvrages qui sont en train de renaître – il vient d’être donné au Teatro alla Scala de Milan. La musique de Ponchielli, et la partie de Laura sont tellement belles que je ne voulais pas passer à côté, même pour une seule soirée, aux Chorégies d’Orange. Le personnage me fait penser à l’héroïne de La Favorite de Donizetti. C’est agréable de jouer une « gentille ». L’écriture a quelque chose de très juvénile, et son air est passionné, mais pur.
Le rôle est assez particulier, dans la mesure où la plupart de ses interventions s’enchaînent au deuxième acte. Il faut donc dépeindre toute la palette de ses émotions très rapidement – contrairement à Amneris (Aida), qui peut donner l’impression d’être toujours en colère : vocalement, on doit toujours s’en distancier, parce qu’on peut très vite se laisser emporter par ce sentiment, et ne pas respecter la noblesse du chant et de la ligne, voire abîmer l’instrument.
Dans le passé, Laura a été interprétée par des voix très différentes, et je suis impatiente de trouver ma propre couleur. Surtout dans l’intimité du Théâtre Antique d’Orange, qui m’avait émerveillée lors de mes débuts sur cette scène. Le public nous entoure, et on a l’impression de pouvoir le toucher, alors que la jauge est énorme. Ce lieu est assez exceptionnel pour cette raison. J’espère juste qu’il n’y aura pas trop de vent ! »
Propos recueillis par MEHDI MAHDAVI
À voir :
Hamlet d’Ambroise Thomas, avec les chœurs de l’Opéra National Montpellier Occitanie et du Capitole de Toulouse, l’Orchestre National Montpellier Occitanie, John Osborn (Hamlet), Julien Véronèse (Claudius), Jérôme Varnier (Le Spectre du feu roi), Geoffroy Buffière (Polonius), Philippe Talbot (Laërte), Rodolphe Briand (Marcellus), Tomislav Lavoie (Horatio), Clémentine Margaine (Gertrude) et Jodie Devos (Ophélie), sous la direction de Michael Schønwandt, au Festival Radio France Occitanie Montpellier, Le Corum, Opéra Berlioz, le 15 juillet 2022.
La Gioconda d’Amilcare Ponchielli, avec les chœurs des opéras d’Avignon, de Monte-Carlo et de Toulouse, l’Orchestre Philharmonique de Nice, Csilla Boross (La Gioconda), Clémentine Margaine (Laura Adorno), Alexander Vinogradov (Alvise Badoero), Marianne Cornetti (La Cieca), Stefano La Colla (Enzo Grimaldo) et Claudio Sgura (Barnaba), sous la direction de Daniele Callegari, et dans une mise en scène de Jean-Louis Grinda, aux Chorégies d’Orange, le 6 août 2022.