Portée pâle pour la première de la reprise de La forza del destino, Anna Netrebko a laissé la place à Anna Pirozzi, qui ne devait assurer que les trois dernières représentations. De retour sur la scène de la Bastille dans Il trovatore dès le 21 janvier, la soprano italienne, rare spécimen de lirico spinto, voire de drammatico d’agilità, enchaîne les deux Leonora verdiennes, pour ses débuts à l’Opéra de Paris. Rencontre avec une guerrière.
Avez-vous des habitudes, un rituel avant d’entrer en scène ?
Je me souviens que, lorsque j’étais jeune, je prenais du sel et le jetais dans la loge ou sur la scène, mais cette superstition de napolitaine est aujourd’hui passée. Je me contente désormais de faire le signe de croix, et après cela seulement, je me lance.
De quel rôle de votre répertoire vous sentez-vous le plus proche ?
Je me sens proche de ces héroïnes que j’appelle les « guerrières », comme Abigaille (Nabucco), Odabella (Attila), et même Lady Macbeth. Leur caractère, leur force, leur côté combattante ne me sont pas étrangers. Mais j’affectionne aussi tout particulièrement des rôles plus romantiques, comme Leonora (Il trovatore) et Amelia (Un ballo in maschera). Ils me permettent d’exploiter la part plus douce et féminine qui est en moi. Comment résister à Aida, une partition que j’adore, et qui me pousse à exprimer d’autres facettes de ma personnalité ? Chez Puccini, Turandot et Tosca, de par leur écriture, sont de vrais bijoux : incarner une princesse est quelques chose d’enthousiasmant, tout comme la seconde, cette femme amoureuse et passionnée, comme moi qui vient du sud ! Et puis il y a le drame. Interpréter tous ces sentiments me convient parfaitement.
De quel compositeur auriez-vous aimé être l’amie, la muse, l’interprète fétiche ?
J’aurais, sans hésitation, voulu être la muse de Verdi, dont la musique, mais aussi la pensée me touchent profondément, tout comme son amour du peuple et son intérêt pour les problèmes des gens simples – ceux qui n’étaient pas de sa condition. C’est grâce à lui que je suis née en tant qu’artiste, le rôle d’Abigaille m’ayant ouvert beaucoup de portes. Macbeth, I due Foscari et Il trovatore, mon opéra favori, ont suivi. Débuter à l’Opéra de Paris dans deux ouvrages de celui qui, de tous les compositeurs, est mon préféré m’émeut énormément. J’ai surtout hâte de chanter devant le public français, et espère sincèrement qu’il va m’apprécier.
Quel est le pire imprévu auquel vous ayez dû faire face sur scène ?
Je me souviens de deux imprévus, l’un avant d’entrer en scène, et l’autre sur le plateau. Il y a quelques années, j’étais dans le train pour me rendre à la Scala de Milan, et j’ai voulu boire du thé. J’ai malencontreusement renversé la boisson sur ma bouche et mon menton, et me suis brûlée très fort. J’ai donc dû chanter avec le visage tout rouge et tuméfié, ce qui était insupportable. Le second s’est passé pendant une représentation : mon costume s’est coincé dans ma chaussure, et je suis restée par terre en chantant jusqu’au moment où j’ai pu enfin me dégager et me remettre debout.
Dans quel rôle aimeriez-vous faire vos adieux ?
Je ne veux pas y penser, c’est trop tôt ! Lorsque le jour viendra, j’espère me retirer avec un rôle que je pourrai encore bien chanter. Ce sera peut-être dans Norma, ou une autre partition, mais je voudrais être capable de tirer ma révérence avec dignité, sans tricher, avec fierté !
Propos recueillis par FRANÇOIS LESUEUR
À voir :
La forza del destino de Giuseppe Verdi, avec James Creswell (Il Marchese di Calatrava), Anna Pirozzi (Donna Leonora), Ludovic Tézier (Don Carlo di Vargas), Russell Thomas (Don Alvaro), Elena Maximova (Preziosilla), Ferruccio Furlanetto (Padre Guardiano), Nicola Alaimo (Fra Melitone), sous la direction de Jader Bignamini, et dans une mise en scène de Jean-Claude Auvray, à l’Opéra National de Paris, du 24 au 30 décembre 2022.
Il trovatore de Giuseppe Verdi, avec Étienne Dupuis (Il Conte di Luna), Anna Pirozzi (Leonora), Judit Kutasi (Azucena), Yusif Eyvazov (Manrico), Roberto Tagliavini (Ferrando), Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (Ines), Samy Camps (Ruiz), sous la direction de Carlo Rizzi, et dans une mise en scène d’Alex Ollé, à l’Opéra National de Paris, du 21 janvier au 17 février 2023.