Interview Jean-Louis Grinda : « La Gioconda, c’est d’abo...
Interview

Jean-Louis Grinda : « La Gioconda, c’est d’abord la fête du chant ! » 

29/07/2022
© Gilles Leimdorfer

La Gioconda est une ancienne connaissance pour Jean-Louis Grinda, qui a mis en scène le chef-d’œuvre d’Amilcare Ponchielli pour la première fois en 2006. Le directeur des Chorégies raconte comment sa production fait peau neuve, dans la vastitude du Théâtre Antique d’Orange.

En quoi La Gioconda, dont la notoriété, du moins en France, n’égale évidemment pas celle de Carmen ou de La traviata, a-t-elle sa place dans ce grand événement populaire que sont les Chorégies ? 

Les deux opéras programmés cet été à Orange sont exactement à l’opposé l’un de l’autre, tant par le format que du point de vue de l’adéquation au site.  Titre très populaire, L’elisir d ‘amore de Donizetti est une œuvre intimiste, qui aurait pu sembler déplacée sur le vaste plateau du Théâtre Antique. Mais le champ de blé géant au milieu duquel évoluaient les personnages miniatures de la belle production d’Adriano Sinivia y paraissait encore plus démesuré. À l’inverse, La Gioconda est une ouvrage à grand spectacle, dont les tableaux de foule convoquent des chœurs importants – comprenant même, en dépit de toute vraisemblance s’agissant de l’équipage d’un bateau, des femmes et des enfants… Cette dimension n’empêche pas certaines scènes d’une belle intimité, notamment tout le dernier acte, où s’enchaîne un trio et un duo. La superbe musique de Ponchielli dessine des personnages passionnés – dont deux vrais méchants –, pris dans une intrigue échevelée, avec un vrai suspense, qui semble être faite pour les Chorégies. Sans être vraiment dans le répertoire courant, ce titre est régulièrement programmé dans le monde entier – et encore récemment au Théâtre du Capitole de Toulouse et au Teatro alla Scala de Milan. Orange ne l’avait plus affiché depuis 1983. Il était temps de le refaire !

Mefistofele de Boito dans la mise en scène de Jean-Louis Grinda aux Chorégies d’Orange en 2018 © Bruno Abadie

Quel lien entretenez-vous avec cette œuvre ?

La Gioconda est comparable à Mefistofele de Boito. Ce sont deux œuvres gigantesques, et donc très difficiles à monter de par les moyens qu’elles supposent, mais que j’adore, et que j’aurai finalement montées régulièrement. Il s’agira, à Orange, de ma huitième fois ! Ma production, créée à l’Opéra de Nice en avril 2006, a été reprise à l’Opéra Royal de Wallonie la même année, et a beaucoup tourné depuis, non seulement en France, mais aussi à l’étranger – et jusqu’à Santiago du Chili, en 2016. Au Théâtre Antique, le spectacle sera complètement différent, même si je vais réutiliser les magnifiques costumes conçus et réalisés par le regretté Jean-Pierre Capeyron, qui permettent d’évoquer différents aspects de la Venise de la Renaissance : opprimée, festive, religieuse, et la Sérénissime. Car je tiens à être fidèle au cadre historique du livret. En revanche, nous n’avons rien gardé des décors imaginés par Éric Chevalier. D’une part parce qu’ils se sont abîmés, et d’autre part parce que la mise en scène a été entièrement repensée pour les Chorégies, et en fonction des contraintes du lieu.

Quelles sont-elles ?

Je connais bien Orange : songez que la première fois que j’y ai mis les pieds, c’était en 1982 ! J’avais 22 ans, et venais d’être engagé comme secrétaire artistique par Raymond Duffaut, à l’Opéra d’Avignon. Avec Laurent Castaingt, qui signe les décors avec moi, ainsi que les éclairages, nous allons investir la totalité du plateau, et surtout utiliser toute la hauteur du Mur – élément obligé et contre lequel on ne peut lutter – en faisant tomber d’en haut une pluie de cordages, comme sur un grand vaisseau, évoquant ainsi l’élément maritime si important dans l’opéra. Par un subtil jeu de lumières, qui ne peut être réglé que sur place, au fil des répétitions, nous modulerons les textures de cette forêt de chanvre, sa brillance ou sa matité. Nous allons beaucoup travailler sur la suggestion, pour créer des effets d’ambiance. Car, paradoxalement, je traite cette œuvre à grand spectacle de façon assez dépouillée, sans aucune recherche de réalisme, et en développant toute une dimension onirique. Il s’agira de plutôt de créer, grâce à la technique du mapping, des impressions de Venise, à travers des lieux emblématiques comme la Piazza San Marco, la Giudecca, etc… Mais il faut faire très attention avec la vidéo, car son impact est si fort qu’il peut facilement écraser tout ce qui passe sur le plateau, dont le public ne doit pas être détourné.

Fantasia de Walt Disney a donné une popularité incroyable à cette pièce, et c’est une chance. Jean-Louis Grinda

En quoi est-ce une œuvre difficile à monter ? 

La Gioconda, c’est d’abord la fête du chant – l’ouvrage est d’ailleurs bien plus difficile à distribuer qu’Aida de Verdi. Il y faut un soprano dramatique, un grand mezzo, un contralto profond, un ténor lirico spinto, un bon baryton et une grande basse, qui ont chacun un grand air – notamment les très attendus « Suicidio ! » et « Cielo e mar ! » – et de magnifiques ensembles. Pour Enzo, après deux remplacements, nous aurons finalement Stefano La Colla, qui a déjà interprété le rôle à la Scala de Milan. Enfin, je suis très heureux de donner à Clémentine Margaine, que j’avais eu beaucoup de plaisir à mettre en scène en Carmen au Capitole de Toulouse, sa première Laura : elle devrait être grandiose, car c’est une chanteuse, non seulement à voix, mais aussi à très fort tempérament. La direction musicale est confiée à Daniele Callegari, un grand amoureux de l’œuvre, ce qui est indispensable. En effet, autant La Bohème ou La traviata sont des titres qui s’imposent d’eux-mêmes, autant La Gioconda ne peut être défendue que par des chefs et des metteurs en scène qui croient en elle. 

Clémentine Margaine et Jean-Louis Grinda pendant les répétitions de La Gioconda au Théâtre Antique d’Orange © Philippe Gromelle

L’œuvre contient la fameuse « Danse des heures », que tout le monde connaît grâce au dessin animé Fantasia (1940), sans forcément associer cette musique à La Gioconda. Est-il difficile de la mettre en scène en faisant abstraction de ce qu’a imaginé Walt Disney ? 

Comment ne pas avoir en tête cet incroyable ballet d’hippopotames, d’autruches et de crocodiles ? Fantasia a donné une popularité incroyable à cette pièce, et c’est une chance. Les grands opéras de l’époque offrent tous un morceau de bravoure pour le ballet – regardez Faust de Gounod, et même Tannhäuser de Wagner –, mais il me semble important, si c’est possible, de l’intégrer vraiment à l’action, en lui donnant une nécessité dramaturgique. Ici, j’ai gardé l’idée d’en faire un spectacle fantastique offert par Alvise à ses invités : le fond de scène devient ainsi un plafond vénitien, dont les personnages s’animent pour incarner cette allégorie du temps, comme si le publie était couché pour regarder la magnifique chorégraphie de Marc Ribaud. Cette vision nous permet d’entrer dans le rêve, en nous demandant s’il s’agit d’un prodige ou d’une illusion… Surtout, n’ayez pas peur de cet opéra, qui sera une vraie fête pour l’œil et l’oreille, dans le cadre incroyable du Théâtre Antique d’Orange !

Propos recueillis par THIERRY GUYENNE

(Cet entretien ayant eu lieu avant le retrait de Saioa Hernández, pour raisons personnelles, et son remplacement par Csilla Boross, le passage où Jean-Louis Grinda mentionnait l’interprète du rôle-titre a été coupé.)

À voir :

La Gioconda d’Amilcare Ponchielli, avec les chœurs des opéras d’Avignon, de Monte-Carlo et de Toulouse, l’Orchestre Philharmonique de Nice, Csilla Boross (La Gioconda), Clémentine Margaine (Laura Adorno), Alexander Vinogradov (Alvise Badoero), Marianne Cornetti (La Cieca), Stefano La Colla (Enzo Grimaldo) et Claudio Sgura (Barnaba), sous la direction de Daniele Callegari, et dans une mise en scène de Jean-Louis Grinda, aux Chorégies d’Orange, le 6 août 2022.

Retrouvez l’interview de Clémentine Margaine au sujet de sa première Laura.

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