Jusqu’à présent, le ténor Jack Swanson s’était illustré dans des rôles rossiniens divers, du Santa Fe Opera au Rossini Opera Festival de Pesaro. Depuis Die Entführung aus dem Serail avec l’Opera Omaha en 2020, il se plonge avec succès dans l’œuvre de Mozart. Récemment Tamino (Die Zauberflöte) à l’Opéra national de Lorraine, et bientôt Ferrando (Così fan tutte) à l’Oper Frankfurt et à l’Opéra national du Rhin, il nous partage son rapport au répertoire qu’il a construit…
Avec l’opéra mozartien, souhaitez-vous donner une nouvelle orientation à votre carrière?
Absolument, ce sont des partitions que j’étais impatient d’explorer, et que je vais continuer à chanter. Après mes études, Rossini a vraiment été mon moteur. Je continue à faire Il barbiere di Siviglia, œuvre que j’adore, mais j’avais envie de tester de nouvelles choses et entrer dans ce « marché » Mozart en essayant ces rôles, qu’on a commencé à me proposer en 2020. J’adore l’éventail complet de technique vocale que les rôles de Mozart proposent, en plus des riches couleurs et du son qu’ils demandent. Mozart était un fin connaisseur de la voix, il savait tout structurer à travers la musique. La partition de Tamino s’apparente à une perfection d’artisanat. C’est incroyable de voir à quel point Mozart a intégré au personnage tous les petits traits de caractères auxquels un ténor doit généralement penser.
Quelle est la différence vocale entre Mozart en italien et Mozart en allemand ?
Tamino est l’un de mes premiers rôles en allemand. Il y a quelque chose de fascinant dans les voyelles de l’allemand, dans la façon dont la langue s’entrelace à la musique… Dans Die Zauberflöte, ça coule de source, les mots possèdent une couleur complètement adaptée à la musique. C’est en interprétant des rôles comme Tamino qu’on peut se sentir plus à l’aise avec la langue allemande.
Dans quelle langue préférez-vous chanter ?
J’aime vraiment chanter dans toutes les langues. En anglais, c’est bien plus naturel, je n’ai pas à penser exactement au sens du texte, même si c’est parfois peut-être plus difficile à prononcer, paradoxalement. On se repose assez facilement sur ses lauriers quant à la diction dans sa propre langue. Le français est peut-être l’une des langues les plus compliquées, en raison des syllabes nasales qu’on ne peut pas exactement chanter comme elles sont écrites. Mais l’anglais et l’italien sont les langues dans lesquelles je me sens le plus à l’aise.
Almaviva, dans Il barbiere di Siviglia, est votre rôle fétiche. Quelles nouvelles facettes du personnage explorez-vous dans de nouvelles productions ?
Parmi les dizaines de représentations du Barbier de Séville que j’ai faites jusqu’à présent, chacune des 7 productions a été complètement différente. Dans les mises en scène classiques, il y a la beauté d’une atmosphère entièrement dédiée à la musique, la musique se suffit à elle-même. Dans des productions plus modernes, comme à Oslo en 2020-2021, où je jouais aux échecs et dansais, il faut être plus actif, c’est un défi. Aujourd’hui, les chanteurs doivent non seulement avoir une technique solide et bien chanter, mais aussi savoir bouger.
Le parcours d’Almaviva est déjà écrit, les répliques comiques sont déjà dans le livret. Rien ne sert donc de vouloir réinventer le rôle. Chaque fois que je le chante, j’essaie de modifier au moins un aspect du personnage, comme sa façon de marcher ou de s’adresser aux autres personnages. J’ai l’impression que je peux aller toujours plus loin pour découvrir qui est exactement Almaviva. Le théâtre permet vraiment cela.
Quelle a été votre plus grande surprise en arrivant en France, culturellement parlant ?
Ces huit dernières années, j’ai passé beaucoup de temps en Europe, ce qui m’a permis de découvrir à chaque fois de nouvelles cultures. Certains Français tiquent un peu quand je leur parle de Marseille – où j’ai chanté Candide en 2018 –, mais je dois dire que j’ai vraiment beaucoup aimé la ville. J’ai adoré le Vieux Port, j’ai trouvé les pâtisseries incroyables, tout le monde a été très accueillant. Mais parce que le français est une langue que je dois encore travailler, je ne peux pas avoir de conversations spontanées. J’aurais donc du mal à dire quelle caractéristique m’a le plus marqué dans la culture marseillaise, par rapport à Oslo ou à Francfort. Ce stéréotype des Français qui se ferment quand on leur parle anglais, je ne l’ai pas du tout senti. Je commençais à lire en français, à commander en français, je m’embrouillais un peu quand on me posait des questions, mais on ne s’est jamais mal comporté avec moi. J’essaye de lutter contre ce stéréotype !
En revanche, sur une production, je découvre beaucoup de choses sur la culture de mes collègues. Pour Die Zauberflöte à Nancy, une grande partie de la distribution était autrichienne. Ça m’a permis de pratiquer un peu plus mon allemand, de poser des questions sur la culture autrichienne. J’aurais aimé pouvoir plus parler avec les personnes venant de Nancy, mais à cause des restrictions Covid, le chœur et les chanteurs ne pouvaient pas se croiser.
Tobias Ragg, dans Sweeney Todd de Stephen Sondheim, est le premier rôle que vous avez chanté après vos études. Quelles différences y a-t-il entre l’opéra et le théâtre musical pour un chanteur ?
On doit forcément tirer profit de l’amplification de la voix dans le théâtre musical pour trouver des couleurs vocales particulières. C’est aussi valable à l’opéra, mais dans un certain cadre de projection, car il faut être capable de chanter toute la soirée sans être contraint. Dans le théâtre musical, j’essaye de trouver ces moments où je peux donner moins, tout en cherchant le plus beau son pour exprimer ce que je veux transmettre. Concernant le jeu, je pense qu’on peut aller aussi loin dans un musical qu’à l’opéra. Dans les moments où on se tourne vers l’arrière-scène, il faut faire confiance à ses partenaires et au chef d’orchestre. Au théâtre musical, aux États-Unis, il me semble plus facile de communiquer avec le public pendant une représentation. Parce que c’est en anglais, il y a une connexion plus directe. Quand on chante dans une autre langue que celle du public, la portée est très différente. Même si je fais beaucoup de Rossini, je suis très heureux de pouvoir trouver une place pour le théâtre musical « traditionnel » de Bernstein ou Sondheim une ou deux fois par an. Quand des maisons d’opéra programment ces œuvres – avec un budget bien plus conséquent qu’à Broadway –, ça ajoute une tout autre dimension à mon travail. Être capable de faire ces œuvres me fait devenir un véritable interprète.
Prochainement dans :
Così fan tutte (Ferrando), à l’Oper Frankfurt du 21 janvier au 6 mars 2022, et à l’Opéra national du Rhin du 14 avril au 15 mai
Il barbiere di Siviglia (Almaviva) au Santa Fe Opera, du 2 juillet au 26 août 2022
Propos recueillis par Thibault Vicq