Interview Isabelle Aboulker, montrer la voix aux enfants
Interview

Isabelle Aboulker, montrer la voix aux enfants

27/03/2024
Isabelle Aboulker. © DR

Elle est, depuis quatre décennies, une figure incontournable, autant qu’indissociable, de l’opéra destiné aux enfants – dans le public, comme sur scène. Commande de l’Opéra-Comique pour sa Maîtrise Populaire, Archipel(s), le nouvel opus de la compositrice française, sera créé, à la Salle Favart, le 25 avril, sous la direction de Mathieu Romano et dans une mise en scène de James Bonas. 

Vous vous êtes exprimée dans différents genres musicaux, mais votre écriture de prédilection est destinée au jeune public. Comment cette disposition particulière s’est-elle imposée à vous ?

Lorsque mes fils étaient en bas âge, j’ai pris conscience que le répertoire musical disponible pour eux était extrêmement limité. J’ai alors éprouvé le désir de composer pour de jeunes oreilles. Aujourd’hui, ce répertoire s’est enrichi et renouvelé ; les productions sont multiples, attirant en nombre les familles.

Quelle est la vocation d’une création lyrique pour la jeunesse ?

Un opéra qui s’adresse, en priorité, aux jeunes se doit, avant tout, d’éveiller leur sensibilité, qu’ils soient sur scène ou dans la salle, et les inviter à partager avec leurs proches l’émotion intense et rare suscitée par la voix.

Comment composez-vous pour le jeune public ?

Je compose selon mon style d’écriture, qui s’inscrit dans la tradition française. Mon langage tonal, accessible à tous, est dédié à la voix, afin de mettre en musique des textes que j’aime. Je suis très exigeante sur la qualité littéraire de ceux que je retiens, en particulier ceux de La Fontaine (les Fables) et de Jules Renard (les Histoires naturelles).

Comment le projet d’écriture d’Archipel(s) est-il né ?

La commande d’un opéra destiné, pour la première fois, à la Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique, m’a permis de composer une partition pour de jeunes voix, dont le niveau est exceptionnel. Cette initiative originale, ouverte à des enfants, adolescents et jeunes adultes, de 8 à 25 ans, qui ne connaissent pas forcément la grammaire musicale, a été créée en 2016. Sous la direction artistique de Sarah Koné, un enseignement pluridisciplinaire – chant, théâtre, danse – les forme à la scène, par un travail collectif et une participation active aux productions de la maison. Le remarquable ensemble Les Frivolités Parisiennes, très impliqué dans le spectacle, accompagne la Maîtrise.


La Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique. © Stefan Brion

Quels ont été les défis et les contraintes, lorsque vous avez abordé le livret de l’écrivain Adrien Borne pour Archipel(s) ?

La « fiction lyrique » d’Adrien Borne émane, en partie, des ateliers qu’il a menés avec les membres de la Maîtrise Populaire de l’Opéra-­Comique. Ce livret dense, inventif, m’a séduite. Il est habité par un esprit à la fois grave, dramatique et surprenant. Il porte une charge hautement poétique, qui nous emmène dans ces régions où le rêve et la réalité fusionnent, pour ouvrir des horizons inédits à notre imagination. Le sujet d’Archipels(s) est d’une modernité et d’une actualité saisissantes. Il concerne des jeunes âgés d’une vingtaine d’années et des enfants, au seuil de l’adolescence, dont il traduit les espoirs, les attentes, mais aussi les craintes, face à une société qui promet un bonheur illusoire. Faut-il respecter ou fuir les lois communes ? Partir ou rester ? Vivre à la marge ou s’intégrer ?

Quelle est la trame dramaturgique de l’opéra ?

Archipel(s) évolue à la frontière de deux mondes mouvants, énigmatiques, qui nous interrogent, à travers un récit, dont la succession des scènes, à dimension onirique, a une forte valeur symbolique. En quête de son identité, le personnage de ­l’Enfant, véritable héros de l’opéra, à la fois fort et fragile, traverse différentes épreuves. Son voyage initiatique est ponctué de rencontres de personnages insolites, dans des lieux étranges. D’abord, la Colonie et ses gardiens inquiétants, le Puiseur, homme menaçant qui trie les souvenirs, fouille la mémoire, et manipule le cerveau de l’Enfant rebelle. Celui-ci est, alors, chassé vers l’Île imaginaire, asile des marginaux. Sur cette île enchantée, autour d’un puits, des visages fantomatiques surgissent de l’ombre, l’extravagant Tricoteur tisse des secondes peaux, dont il faudra se défaire, mais le bienveillant Mavrick permet à l’Enfant de descendre dans le puits et d’accéder au passage menant à l’Océan. Enfin libéré des codes et des règles, il peut prendre son envol, seul sur un bateau. Il va vers l’inconnu, mais éclairé par des lucioles. Comment évoluer et grandir ? L’opéra répond par une métaphore poétique à cette question existentielle, que représente le passage sensible de l’enfance à l’âge adulte. 

Quelle musique avez-vous composée, en accord avec ce monde fantastique et mystérieux ? 

J’ai souhaité que mon opéra reflète les différents climats de ce conte musical, proche de l’univers des enfants d’aujourd’hui, habités d’inquiétude, autant que d’insouciance.

Propos recueillis par MARGUERITE HALADJIAN

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