Directeur artistique chevronné des Soirées Lyriques de Sanxay, Christophe Blugeon réalisait, à 26 ans, le rêve un peu fou de créer un festival d’opéra dans ce village de six cents âmes. À chaque représentation, deux mille cinq cents spectateurs se pressent dans ce site gallo-romain merveilleusement préservé, pour y découvrir un pilier du répertoire. Cet été, Il barbiere di Siviglia de Rossini.
Comment avez-vous eu l’idée de créer ce festival au milieu de nulle part ?
Je suis parti d’un constat : le Poitou-Charentes était la seule région de France métropolitaine à ne pas avoir de saison lyrique, les salles les plus proches étant les opéras de Tours et de Limoges. Par ailleurs, le Théâtre Auditorium de Poitiers, inauguré en 2008, n’a pas été équipé d’une fosse d’orchestre. D’où ma volonté d’implanter l’art lyrique en plein milieu rural. Pour qui ignore tout de l’opéra, il est moins impressionnant de venir voir un spectacle ici, que d’aller en ville, pousser la porte d’un théâtre. La première barrière à vaincre est l’idée que ce genre est cher et élitiste, et tout le monde n’y aurait pas droit. Mais si tu ne viens pas à l’opéra, l’opéra ira à toi !
À la fin des années quatre-vingt-dix, je me suis mis à prospecter des lieux possibles, notamment les théâtres de plein air. Ma découverte du site gallo-romain de Sanxay a été un vrai coup de foudre. J’ai alors demandé à l’ami qui m’accompagnait, le ténor Xavier Mas, de chanter : l’acoustique naturelle s’est révélée fabuleuse. Quand j’ai proposé au maire du villlage d’y monter un festival lyrique, il a été enthousiaste, m’apprenant que le lieu avait déjà accueilli Carmen, interprétée par l’Opéra de Bordeaux, en 1933, mais aussi des pièces classiques, avec la troupe de la Comédie-Française, dans les années cinquante. C’est ainsi qu’a débuté l’aventure des Soirées lyriques de Sanxay, en 2000, avec Rigoletto de Verdi.
Vous affichez Il barbiere di Siviglia de Rossini pour la première fois cet été…
Ce titre m’est particulièrement cher. Alors que j’étais en seconde, et que j’ignorais tout de l’opéra, le professeur d’histoire nous a passé la cavatine de Rosina, par Maria Callas. Quel choc ! À la fin du cours, je suis allé lui dire à quel point j’avais été bouleversé. Dès le lendemain, il m’apportait une cassette avec tout un choix d’airs chantés par Callas, dont « Una voce poco fa ». J’avais attrapé le virus de l’opéra. Depuis, je n’ai jamais cessé de me dire que ce coup de foudre, tout le monde pouvait le ressentir. Et c’est devenu une vraie mission !
Bien qu’Il barbiere soit très populaire, j’ai beaucoup hésité à le programmer, car Sanxay, un peu comme le Théâtre Antique d’Orange – toutes proportions gardées – se prête davantage au grand spectacle qu’à l’intimité d’une comédie. La mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau a été créée en 2018, à l’Opéra National du Rhin, avant d’être présentée à l’Opéra de Rouen. Nous en reprenons les costumes, mais pas les décors, que nous avons dû refaire pour les adapter aux contrainte de Sanxay.
Le plateau vocal réunit de grands habitués de l’ouvrage : Marina Viotti – déjà Rosina à Strasbourg –, le ténor russe Yaroslav Abaimov en Almaviva, Paolo Bordogna en Bartolo, et bien sûr Florian Sempey qui, après Escamillo l’an passé, nous revient dans son rôle fétiche. Ce sera sa cinquième production ici, car, encore en début de carrière, il était venu trois étés de suite, entre 2011 et 2013, pour Moralès dans Carmen de Bizet, le Baron Douphol dans La traviata de Verdi, et enfin le prince Yamadori dans Madama Butterfly de Puccini.
Mon bonheur est de concocter moi-même les distributions, faire découvrir de nouveaux chanteurs, pour certains venant pour la première fois en France, une de mes plus grandes fiertés. Ainsi d’Anna Pirozzi, formidable Abigaille de Nabucco en 2014, revenue ensuite pour Tosca en 2018. Côté français, Marianne Crebassa a fait ses quasi-débuts scéniques en Clotilde, dans Norma de Bellini, en 2010.
En vingt-deux ans, vous avez un peu fait le tour des grands titres populaires. Quels autres opéras rêvez-vous de monter dans le cadre des Soirées Lyriques de Sanxay ?
Les lyricophiles n’imaginent pas à quel point l’opéra est à mille lieues de la plupart des gens ! Lorsque j’ai programmé La Bohème, combien de fois ne nous a-t-on pas demandé, au téléphone, s’il s’agissait de la chanson d’Aznavour ? Sanxay est le festival lyrique le moins cher de France, avec des places allant de 20 à 80 euros. Mais il est financé à plus de 75 % par ses recettes de billetterie. D’où la nécessité de se cantonner aux titres connus, comme Carmen, déjà montée trois fois, La traviata, Nabucco, Aida ou encore Tosca – en attendant, je l’espère, de redonner La Bohème et Turandot.
Cette manifestation, qui reçoit peu de subventions, tient grâce à ses sponsors et ses mécènes, ainsi qu’à l’enthousiasme de ses deux cents bénévoles… à commencer par moi. 2022 est une année-test, avec Il barbiere di Siviglia, qui pourrait ouvrir la voie à Don Giovanni de Mozart, par exemple. Pour rester dans le bel canto, j’aimerais beaucoup monter Lucia di Lammermoor de Donizetti. Parmi les grands Verdi, je verrais bien Otello. Et l’année où je prendrai ma retraite, je présenterai Don Carlo !
Propos recueillis par THIERRY GUYENNE
À voir :
Il barbiere di Siviglia de Gioacchino Rossini, avec Yaroslav Abaimov (Il Conte d’Almaviva), Paolo Bordogna (Bartolo), Marina Viotti (Rosina), Florian Sempey (Figaro), Emanuele Cordaro (Basilio), Andreea Soare (Berta), Yoonsung Choi (Fiorello), sous la direction de Marc Leroy-Calatayud, et dans une mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau, aux Soirées Lyriques de Sanxay, les 9, 11 et 13 août 2022.