Interview Brenda Poupard – « Il faut susciter la r...
Interview

Brenda Poupard – « Il faut susciter la rencontre, raconter une histoire »

17/01/2022
Brenda Poupard

Avant d’intégrer l’Opéra Studio de l’Opéra national du Rhin en septembre 2021, la mezzo-soprano Brenda Poupard, Révélation Classique 2021 de l’Adami, a été lauréate du Concours de mélodie française de Toulouse avec le pianiste Jean-Michel Kim, reçu le 2e Prix au Concours International de chant baroque de Froville, participé à une tournée du Coronis de Sebastián Durón avec Vincent Dumestre et Le Poème Harmonique, et fait vivre la musique de notre époque. Elle interprète actuellement le rôle-titre de L’Enfant et les sortilèges de Ravel avec ses camarades de l’Opéra Studio, dans une version itinérante rencontrant le public alsacien et meusien jusqu’en mai 2022. Elle nous a partagé ses impressions entre deux représentations de cet opéra nomade du XXIe siècle.

Qu’est-ce que l’esprit d’un opéra nomade, vu de l’intérieur ?

C’est une expérience à part que je ne pensais pas vivre un jour. Un esprit de troupe s’installe rapidement. C’est aussi un marathon : beaucoup de dates en peu de temps, souvent deux fois par jour, plusieurs jours d’affilée. L’expérience est très exigeante, et pas seulement sur le plan vocal. Avec la fatigue, le corps est encore plus demandant en préparation et donc en récupération. J’apprends donc à particulièrement soigner ma chauffe musculaire durant cette tournée.

Émilie Capliez met en scène son premier opéra avec L’Enfant et les sortilèges. Comment s’est passée cette collaboration ?

C’est toujours un petit choc quand le monde du théâtre rencontre le monde de l’art lyrique. Au théâtre, on peut aller beaucoup plus loin dans l’épuisement qu’on ne peut se le permettre en tant que chanteurs. Il faut apprendre comment les uns et les autres fonctionnent. Émilie a été agréablement surprise qu’on ait tous beaucoup à donner, à dire, à proposer. Elle était consciente que le chant était central pour nous, mais en même temps elle sentait qu’elle pouvait nous demander des choses sans devoir s’en excuser. Elle nous poussait sans cesse à ne pas nous avouer vaincus devant l’exigence physique des différentes scènes avant de les avoir testées de nombreuses fois.


Brenda Poupard © Klara Beck

L’Enfant et les sortilèges actuellement, Les Rêveurs de la lune au printemps : est-ce différent d’interpréter des opéras dits « familiaux » ?

Je ne pense pas être dans un état d’esprit différent. On a toujours nos préoccupations de base, que sont notre instrument, l’écoute de notre corps et de notre voix, et surtout la vérité de l’interprétation, en identifiant notamment le bagage émotionnel de nos personnages. Le public, composé de nombreux enfants, est forcément plus sonore, et on se nourrit de ça. Les enfants sont très spontanés dans leurs réactions, ils ne se demandent pas si ça peut déranger les comédiens, il n’y a pas cette distance codée du théâtre. Dans la première scène de L’Enfant et les sortilèges, où je casse des objets, ils voient une transgression réelle et non l’illusion du théâtre. Je n’oublierai jamais la générale scolaire du spectacle, devant des 5-10 ans. C’était la première fois qu’on jouait la scène, les 200 enfants étaient tous hilares. C’était très difficile de garder notre sérieux, mais aussi très touchant de recevoir cette vague d’énergie !

Préférez-vous les longues collaborations avec les pianistes ou bien en changer en fonction des répertoires ?

J’aime adapter le répertoire abordé en fonction du pianiste avec lequel je suis amenée à chanter. C’est fascinant de sentir les connexions varier selon son partenaire de scène. Par ailleurs, j’aime le travail de longue haleine qui est permis au sein d’un duo. On se voit évoluer l’un et l’autre, notre façon de travailler évolue sans cesse et les passions de l’un finissent souvent par devenir aussi celles de l’autre. Et de bien beaux projets naissent souvent de ces échanges. C’est un travail que je n’arrêterai jamais de faire, pour rien au monde. Je n’ai pas un caractère à baisser les bras, j’aime bien pousser mon pianiste dans ses retranchements, comme je le fais pour moi-même.

Comment l’art lyrique doit-il être représenté aujourd’hui selon vous ?

Il est très important de continuer à s’engager sur tous les projets qui renouvellent l’image de l’opéra auprès des jeunes et des moins jeunes. Les récitals devant le piano, sans bouger, sans parler au public, n’existent presque plus, et heureusement ! J’ai réalisé combien il était important par exemple que l’artiste s’exprime sur son programme, pour créer une proximité avec le public. Il faut susciter la rencontre, raconter une histoire. Je suis d’ailleurs assez étrangère à la notion d’ « attente du public ». Devant des publics très différents, on doit rester fidèle à soi-même et à ce qu’on a préparé. Je suis à l’écoute de ce qui se passe et je découvre la façon dont la rencontre se passe, je me laisse surprendre.

Il est très important de continuer à s’engager sur tous les projets qui renouvellent l’image de l’opéra auprès des jeunes et des moins jeunes Brenda Poupard Brenda Poupard

L’opéra doit-il illustrer notre monde actuel ?

L’art a toujours servi à questionner, quitte parfois à choquer. Je suis ravie de prendre part à des convictions, d’essayer de les comprendre et de les ressentir, même si ce n’est pas mon message à moi. Je trouve très beau de défendre des idées. Pour ma sortie du Conservatoire national supérieur de musique de Paris en 2019, j’avais fait un récital-spectacle qui traitait de la façon dont les homosexuels pouvaient encore aujourd’hui être condamnés à mort dans certains pays du monde. Plusieurs personnes sont venues me voir à la fin du spectacle pour me remercier. Elles avaient parfois même compris certaines choses auxquelles je n’avais pas pensé. Ça avait fait écho en elles. 

Comment les jeunes chanteurs envisagent-ils leur carrière aujourd’hui ?

Le terme « carrière » n’a pas la même signification aujourd’hui qu’il y a 50 ans. Certains lieux créent des vocations et des rêves, mais le but ultime des chanteurs n’est plus forcément de chanter dans des salles mythiques. Je trouve merveilleux de découvrir des publics différents sur des scènes différentes, dans des villes différentes. En fonction de la culture locale, en France ou à l’étranger, on ne ressent pas du public la même façon de recevoir et d’écouter. Tout le monde autour de moi a le besoin de diversifier ce qu’il fait, de faire découvrir l’art lyrique au plus grand nombre. La période de confinement a d’ailleurs été à l’origine de beaucoup de créations de festivals ou de projets. Je ne pourrais pas envisager ma vie autrement qu’en faisant tous ces répertoires différents. C’est une belle gymnastique, et ça requiert une technique vocale solide, un réajustement différent selon les répertoires. Surtout dans la musique contemporaine, car il y a souvent une recherche d’effets vocaux spécifiques, qui ne sont par essence pas « vocaux ». Il y a tellement de choses à faire dans ce métier qu’il serait dommage de se cantonner à un seul style de musique. D’ailleurs, plus personne ne fait plus ça aujourd’hui, tous les artistes sont polyvalents. On sent aussi que le public a soif de diversité, et il faut être à l’écoute de cela. C’est une relation de confiance qu’on instaure avec lui.

Propos recueillis par THIBAULT VICQ

Brenda Poupard sera prochainement dans :

L’Enfant et les sortilèges (l’Enfant), avec l’Opéra Studio de l’Opéra national du Rhin :
– au Théâtre de Hautepierre (Strasbourg) jusqu’au 23 janvier 2022
– au Dôme (Mutzig) le 27 janvier 2022
– au Théâtre municipal de Sainte-Marie-aux-Mines le 29 avril 2022
– à ACB Scène nationale (Bar-le-Duc) le 5 mai 2022
– au Centre socio-culturel Pax (Mulhouse) du 11 au 20 mai 2022

Les Rêveurs de la lune (la Cigogne), avec l’Opéra national du Rhin :
– à la CMD, Cité de la Musique et de la Danse (Strasbourg) du 27 février au 4 mars 2022
– à La Sinne (Mulhouse) le 11 mars 2022
– au Théâtre municipal de Colmar les 18 et 19 mars 2022

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