Dernière édition du Festival de Musica y Danza de Grenade, conçue par l’ex-directeur artistique du Teatro Real de Madrid. Pas d’opéra au programme, placé, cette année, sous le signe de Vienne, mais des récitals de lieder de Schubert. Avant Elsa Dreisig, dans les Vier letzte Lieder, pour la soirée de clôture, le 14 juillet, d’une manifestation qui bat son plein depuis le 7 juin.
Qu’est-ce qui vous a animé, au Festival de Musica y Danza de Grenade, dont vous quitterez la tête, le 31 juillet prochain ?
C’est le festival, à la fois, le plus important et le plus ancien d’Espagne. Je le fréquente régulièrement, depuis plus de quarante ans, et il est unique au monde, pour ses lieux de représentation : le Palacio de Carlos V et le Patio de los Arrayanes, tous deux à l’acoustique naturelle extraordinaire, mais aussi le Teatro del Generalife, construit, en 1953, pour le Festival. J’aime particulièrement concevoir de nouveaux projets, en partant de zéro. Quand on arrive dans une telle institution, on s’insère dans une histoire qui a vu passer des directeurs, avant soi, et qui en accueillera d’autres, ensuite.
Quels projets aviez-vous en tête, pour Grenade ?
Il manquait au Festival une ligne thématique. En 2023, c’était la voix humaine ; cette année, Vienne comme point de rencontre, car il s’agit d’une capitale musicale depuis trois siècles. J’ai souhaité, aussi, internationaliser cette manifestation, lui ouvrir une fenêtre sur le monde. Les agences de voyages, qui organisent des séjours à Glyndebourne, Aix-en-Provence ou Salzbourg, n’ont habituellement pas de circuits à Grenade. C’est le premier festival de l’été – dès la mi-juin –, au moment où se terminent les saisons lyriques ou orchestrales européennes. Il n’entre en collision avec aucun autre.
Avec le thème de cette année, que vous paraissait-il important de transmettre au public ?
Les Wiener Philharmoniker, présents pour la première fois, étaient un prétexte, mais nous fêtons, aussi, le 200e anniversaire de la naissance de Bruckner. Nous avons, également, instauré un dialogue avec le Schubert intime des sonates et des lieder, dont témoignent, notamment, les programmes interprétés par le baryton Konstantin Krimmel, avec Daniel Heide au piano, le 5 juillet, puis la soprano Katharina Konradi, avec le Cosmos Quartet, le 13.
N’avez-vous pas voulu intégrer des opéras, comme, en 2023, El retable de Maese Pedro et Turandot ?
J’aurais aimé proposer, au moins, une opérette viennoise, comme Die lustige Witwe ou Die Fledermaus, mais cela demande de grands efforts financiers. De plus, l’absence, à Grenade, de lieu consacré au lyrique impose une version semi-scénique, au Palacio de Carlos V, ou alors au Teatro del Generalife, où le son doit être amplifié, ce à quoi je m’oppose. Avec notre budget d’un peu plus de 4 millions d’euros, j’ai préféré privilégier une photographie d’aujourd’hui de la direction d’orchestre, entre légendes expérimentées et jeunes valeurs du XXIe siècle. Ainsi du Finlandais Tarmo Peltokoski, directeur musical désigné de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse (ONCT), qui sera à sa tête, en clôture du Festival, dans un programme sur la finitude : l’Ouverture de Die Meistersinger von Nurnberg, suivie des Vier letzte Lieder, avec Elsa Dreisig, et de la Symphonie n° 9 de Bruckner – sa dernière, demeurée inachevée.
Le Festival Extension (FEX) constitue un autre point de rencontre, pour tous…
Le FEX ressemble au Fringe du Festival d’Édimbourg, un festival dans le Festival, une grande fête populaire, qui inonde Grenade de musique et de danse, avec des concerts et spectacles gratuits, dans les palais, églises, jardins et cours, sur les places, et même à l’Auditorio « Manuel de Falla ». Un concert de rock se tient chaque année, à 2 500 mètres d’altitude, et, depuis trois ans, un concert face à la mer. Le FEX s’articule dans quatorze municipalités de la province de Grenade, mais aussi, cette année, dans celles, limitrophes, de Cordoue et d’Almeria.
Quel a été votre plus grand défi, ces cinq dernières années ?
L’organisation du Festival pendant la pandémie ! À l’annonce de la fermeture des théâtres, en mars 2020, la manifestation dont j’héritais n’avait aucun avenir. À la « réouverture » de la société, le Festival pouvait coïncider avec le retour des spectacles publics. J’ai appelé un maximum d’artistes, sans être sûr de maintenir l’édition 2020. Je l’ai finalement décalée d’un mois, et nous avons pu faire un premier concert, à la cathédrale de Grenade, fin juin, en jauge réduite. Nous avons monté près de soixante-dix représentations, sans annulations. 2021 a été plus difficile encore. Les réglementations ont empêché certains artistes de se déplacer, voire de répéter en amont. Il a donc fallu supprimer des dates.
Quel conseil donneriez-vous à votre successeur, Paolo Pinamonti ?
Je ne me permettrais pas le moindre conseil à qui que ce soit, car la programmation est un art que chacun approche à sa manière ! Je laisse, en tout cas, le Festival en bonne santé financière et dans une position adéquate pour l’internationalisation. L’édition 2023 a été un succès, avec plus de 55 000 spectateurs, et une billetterie de près d’un million et demi d’euros. Quant au mécénat, il approche le million d’euros – contre 475 000 euros, en 2020. La particularité reste le soutien des petites entreprises familiales qui, pendant la pandémie, ont maintenu leur apport financier, ce qui montre l’importance locale du Festival de Grenade.
Propos recueillis par THIBAULT VICQ