Opéras Zurich poursuit sa trilogie des reines Tudor
Opéras

Zurich poursuit sa trilogie des reines Tudor

12/01/2022

Opernhaus, 2 janvier

Quelques semaines après Genève (voir O. M. n° 178 p. 49 de décembre-janvier 2021-2022), Zurich accueillait, à son tour, une nouvelle production d’Anna Bolena. Ici aussi, il s’agit d’une trilogie des « reines Tudor », bâtie autour d’une même chanteuse (Diana Damrau), d’un même chef (Enrique Mazzola) et d’un même metteur en scène (David Alden) ; mais Zurich en est déjà au deuxième épisode, puisque Maria Stuarda a déjà été donnée, en avril 2018 (voir O. M. n° 140 p. 68 de juin).

Il y a d’ailleurs une parenté visuelle dans les décors de Gideon Davey, puisque l’on retrouve l’immense espace en forme d’ellipse, aux murs de marbre beige, le trône isolé, et même ce petit espace de verdure, apporté au milieu de la scène – cette fois pour la chasse du premier acte. Par moments, le cadre de l’action se resserre par un grand mur lambrissé qui descend des cintres, et dont les panneaux s’ouvrent comme des alvéoles, où apparaît le chœur en posture d’observation.

Tous les changements se font à vue, les machinistes apparaissant alors en laquais, venant disposer les éléments scéniques comme dans un cérémonial. Les costumes, également de Gideon Davey, mélangent les époques : les hauts-de-forme se combinent aux fraises, et l’action évolue entre les années 1940, la fin du XIXe siècle… et le début du XVIe !

Avec les superbes lumières rasantes d’Elfried Roller et de multiples références à la mort, David Alden réussit un visuel de toute beauté, sans négliger un véritable investissement théâtral dans la direction d’acteurs. Entre un Enrico claudiquant et fiévreux, un Percy aux allures rimbaldiennes et un Hervey inquiétant à souhait, les personnages masculins sont présentés de façon assez sinistre, là où les deux rivales ressortent finalement comme les protagonistes les plus positives.

Comme dans Maria Stuarda, Enrique Mazzola est l’une des clés de la réussite du spectacle. Dès l’Ouverture – enlevée, vive, contrastée –, on sent que le chef italien prend les commandes non seulement musicales, mais aussi dramatiques. Tout au long de la représentation, il insuffle une respiration ample, tout en pratiquant avec raffinement l’art du rubato.

Sur le plateau, Karine Deshayes est la première triomphatrice de la soirée : sa Giovanna éblouit dès son entrée. Intonation sans faille, projection souveraine, précision des attaques, fluidité des lignes, aisance des coloratures… Chacune de ses interventions est marquante. Formidable également, le Smeton de la mezzo russe Nadezhda Karyazina, dont le timbre velouté donne le frisson.

Luca Pisaroni s’acquitte, avec autorité, du rôle d’Enrico ; la voix du baryton-basse italien est toujours d’une belle rondeur, même si l’interprétation n’est pas vraiment inoubliable. Le jeune ténor russe Alexey Neklyudov est un Percy séduisant, au chant lyrique et généreux, parfois affecté d’un léger vibrato, mais qui reste sous contrôle.

Ce n’est pas toujours le cas de Diana Damrau, dont l’Anna ne convainc pas totalement : les aigus semblent forcés, voire disgracieux, et les notes sont, plus d’une fois, attaquées en dessous. Certes, elle conserve une technique souveraine, et sa palette de nuances, comme sa science du contrôle, font merveille dans la grande scène finale. Mais elle donne le sentiment de s’économiser pour ne pas manquer ce rendez-vous et, l’écueil franchi, de s’en trouver comme libérée.

La soprano allemande sera-t-elle encore là, la saison prochaine, pour incarner Elisabetta dans Roberto Devereux ?

NICOLAS BLANMONT


© TONI SUTER

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