Opéras Wozzeck à Anvers
Opéras

Wozzeck à Anvers

12/06/2025
© Annemie Augustijns

Opera Vlaanderen, 3 juin

Après un étonnant Don Carlos, in loco, en 2019 (voir O. M. n° 155 p. 35 de novembre), le metteur en scène Johan Simons revient avec un Wozzeck qui donne à voir le drame à travers les yeux du personnage et permet ainsi au spectateur de saisir l’origine et le processus de cette entreprise d’autodestruction. À la fois antihéros et schizophrène, Wozzeck saisit le monde qui l’entoure avec une hypersensibilité négative que la scénographie de Sammy Van den Heuvel restitue à la façon d’un reflet tragique et distordu, comme s’il déambulait dans son propre cauchemar. Cet impressionnant décor de guingois, d’une blancheur immaculée et aseptisée, se démarque d’une galerie d’effets millimétrés jouant sur un contraste de symboles (le sang écarlate) ou de textures (l’écœurant mouton aux haricots qu’on essuie sur la tête du Docteur). Les costumes de Greta Goiris et Flóra Kruppa forment l’autre élément dramaturgique guidant le regard au fil des quinze scènes hallucinatoires, tant par la vivacité des couleurs que par le style qui identifie chaque personnage : l’uniforme bigarré du Tambour-Major, la blouse du Docteur ou les tenues disparates des enfants.

Johan Simons imagine cet album d’images et cet enchaînement de scènes comme un chemin de croix sans Dieu, une sorte de « Passion selon Wozzeck » où le personnage principal erre sans espoir de rémission, victime d’un tourbillon de pensées qui le rend à la fois vulnérable mais aussi dangereux pour les autres et pour lui-même. Il est cet être marginal et illuminé dont le suicide précède l’apparition de ces groupes d’enfants chantant a cappella, dans la dernière scène, un « Hopp, hopp! » aux allures de scintillement céleste.

Cette esthétique à la fois introspective et expressionniste est portée par un plateau remarquable, au premier rang duquel se distingue le Wozzeck du baryton britannique Robin Adams. Capable d’en restituer l’aspect psychologique insaisissable, il donne au personnage un caractère tour à tour primitif, perspicace ou bien animal. La projection est remarquable de tenue et de densité, depuis le registre grave jusqu’aux aigus vrillés. Magdalena Anna Hofmann fait ses débuts dans un rôle de Marie qu’elle domine scéniquement et vocalement avec une attention particulière à l’alternance du parlé-chanté, parfaitement soutenu par une émission sans failles. Le timbre légèrement voilé de James Kryshak place son Capitaine un cran en dessous de l’étourdissant Martin Winkler, impressionnant de présence et d’ampleur, avec un sens théâtral qui fait de ce médecin un alter ego pervers et dérangé du docteur Mabuse. L’autorité et la maîtrise du phrasé sculptent dans la masse une variation de détails qui en fait l’un des plus indiscutables titulaires actuels. Moins à son aise dans la dynamique générale du rôle, Samuel Sakker campe un Tambour-Major de caractère mais limité par un timbre assez peu varié. Hugo Kampschreur donne à son Andres des contours vif-argent, là où Lotte Verstaen fait entendre, en Margret, de beaux accents très nuancés.

Maître d’œuvre de la réussite de cette production, Alejo Pérez impressionne d’un bout à l’autre de la soirée. Sous sa baguette, l’Orchestre Symphonique des Flandres se transforme en un instrument chatoyant et mobile, restituant dans le flux musical l’alliance d’une cruauté des couleurs avec un parfum empoisonné et capiteux de l’écriture.

DAVID VERDIER

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