Opéra National du Rhin, 2 février
Tout juste libéré d’un Rigoletto à New York, où il chantait le Duc de Mantoue la semaine précédente, Pene Pati n’a eu que quelques jours pour mettre au point cette prise de rôle de Werther à Genève, dans une version de concert mise en espace par Loïc Richard. Une scénographie minimaliste, efficace et bien éclairée, avec un nombre réduit d’accessoires, chaises et tables, placés devant l’orchestre, quelques déplacements et regards suffisant à traduire l’évolution psychologique des personnages
Une soirée au Victoria Hall le vendredi, puis cette seconde édition, sur la scène de l’Opéra National du Rhin à Strasbourg le dimanche après-midi, exécution plus rodée bien que certains semblent encore un peu tâtonner. L’Orchestre de Chambre de Genève, largement renforcé par de jeunes supplémentaires issus de la Haute École de musique de Genève-Neuchâtel (HEM), ne peut prétendre au même niveau de finition qu’une véritable phalange d’opéra. Pourtant, bien qu’ils ne soient pas tous aguerris, ces instrumentistes livrent de sensibles trésors de musicalité, sous la direction souple, attentive aux chanteurs et donnant toujours la priorité à l’essentiel du jeune chef lausannois Marc Leroy-Calatayud.
Aucun défaut pour le robuste Bailli de Pierre-Yves Pruvot. En revanche, les seconds plans, pour la plupart issus de la HEM, paraissent un peu verts, d’une élocution française souvent noyée dans les timbres de l’orchestre, ce qui affecte aussi la pimpante Sophie de Magali Simard-Galdès. Parmi les trois prises de rôle de la distribution, c’est la Charlotte d’Adèle Charvet qui apparaît d’emblée la plus accomplie. La richesse du timbre est bien présente, mais ce sont surtout l’intensité de l’investissement, fêlure longuement retenue, avant que toutes les digues cèdent, et un français d’une finesse et d’une musicalité dignes d’une grande mélodiste qui nous emmènent très loin.
L’Albert de Florian Sempey paraît plus raide, peut-être aussi en raison du schématisme scénique. La voix est bien charpentée, mais l’expression d’une violence parfois disproportionnée, en contraste total avec celle de son rival, d’une luminosité et d’une candeur singulières. Car, avec Pene Pati, ténor né aux antipodes, qui pourtant s’exprime dans un français immaculé, le rôle retrouve une couleur claire et une aisance sans forcer, que l’on avait un peu perdue d’oreille depuis les Werther plus sombres et sans doute réputés plus « modernes » d’un Jonas Kaufmann, puis d’un Jonathan Tetelman. Ici, la composition peut paraître naïve, mais elle s’étoffe progressivement jusqu’à devenir enveloppante au III et surtout au IV, où l’évocation du repos éternel du jeune suicidé arrache des larmes. Attention toutefois à quelques signes de fatigue, l’aigu pouvant parfois s’étrangler, même quand l’interprète, formidable technicien, s’efforce de ne jamais violenter son émission. Pour une voix aussi exceptionnelle, sans doute le signe qu’il vaudrait mieux ne pas se diriger trop hâtivement vers des emplois plus lourds.
LAURENT BARTHEL