Opéras Variations énigmatiques à Metz
Opéras

Variations énigmatiques à Metz

28/11/2022
© Opéra-Théâtre Eurométropole de Metz/Luc Bertau

Opéra-Théâtre, 20 novembre

Il est rare qu’une partition se contente de faire intervenir deux chanteurs pourvus de la même tessiture… C’est pourtant le choix qu’a fait le compositeur français Patrick Burgan (né en 1960), à l’occasion d’Enigma, « dialogue lyrique » donné en première mondiale, à l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz.

Au départ, il y a une pièce d’Éric-Emmanuel Schmitt, Variations énigmatiques, créée à Paris, au Théâtre Marigny, en 1996, qui met en scène deux personnages : l’écrivain Abel Znorko, retiré dans une île de la mer de Norvège, et le journaliste Erik Larsen, qui lui rend visite en vue d’un entretien. Le texte est assez copieux, mais Patrick Burgan a effectué les coupures qui s’imposaient, afin d’en obtenir un livret, sans changer un seul mot à ce qu’avait écrit l’auteur.

Deux parties, séparées par un entracte, structurent l’opéra, au fil desquelles les protagonistes vont changer de statut. Dans la première, l’écrivain misanthrope, revenu de tout, feint de ne pas comprendre pourquoi un journaliste vient l’interroger sur son dernier ouvrage, qui consiste en un échange de lettres entre un amant orgueilleux (lui, Znorko, qui met son art au-dessus de tout) et Hélène, dont il s’est séparé, afin de ne pas se sentir prisonnier de l’amour, mais avec laquelle il entend continuer une liaison épistolaire.

À mesure que progressent les discussions entre Abel Znorko et Erik Larsen, on comprend que la femme éloignée par le premier est devenue l’épouse du second, et que Larsen est venu chez Znorko afin de lui demander des comptes. Dans la seconde partie, c’est donc Larsen qui prend l’initiative et révèle à Znorko que les missives envoyées par sa correspondante étaient, en réalité, écrites par lui-même, Hélène étant morte d’un cancer.

Au-delà de l’intrigue, habilement ficelée, Enigma s’interroge sur le sens de la vie d’un artiste, sur le statut des lettres d’un écrivain (font-elles partie de son œuvre ?), sur la dialectique entre l’artifice et la vérité, etc. Le propos n’a toutefois rien de démonstratif, Patrick Burgan ayant rendu sa musique nécessaire, en apportant au texte un surcroît de lyrisme. Son récitatif peut paraître monotone dans la première partie, qui tarde à s’installer, mais il le varie davantage par la suite et réussit à dramatiser une situation tendue, dont les arrière-plans et les non-dits, précisément, participent de cet au-delà des mots qu’on appelle la musique.

Les échanges entre les deux personnages prennent vie et l’émotion devient réelle, c’est-à-dire la musique nécessaire, quand Larsen devient le protagoniste principal, devant un Znorko tout à coup prostré. Le récit par le journaliste de la mort d’Hélène et le passage a cappella, au cours duquel il avoue être l’auteur des lettres, sont des moments suspendus.

Le spectacle doit beaucoup à la qualité des deux chanteurs, tous deux ténors et tous deux canadiens (il s’agit d’une coproduction avec l’Opéra de Montréal). Patrick Burgan raconte : « J’ai longtemps hésité sur le registre vocal de chacun… Un Znorko basse et un Larsen ténor, cela me paraissait trop convenu ; une simple inversion de ces registres, c’était un peu artificiel. » D’où ce choix de deux ténors : en Znorko, Antoine Bélanger est le plus aigu, le plus tranchant, celui qui, au départ, prétend se situer ailleurs, en surplomb des hommes ; en Larsen,  Jean-Michel Richer, moins haut perché, a le timbre soyeux de l’amoureux qui, peu à peu, se révèle et rejette le premier dans la sécheresse de son cynisme.

La mise en scène de Paul-Émile Fourny accompagne, pas à pas, ce huis clos, en ménageant des moments de rupture. Celui où Znorko, informé qu’Hélène est la femme de Larsen, fait s’écrouler la pyramide de livres qu’il avait patiemment bâtie, est une belle idée qui annonce que tout bascule.

Quelques accessoires (une machine à écrire, un magnétophone à bandes) situent l’action à une époque où l’on ne se contentait pas de courriels et de textos. Et la maison de Znorko est très simplement figurée par un assemblage de néons, qui accueillent une autre structure de néons, la lumière de l’un et l’autre pouvant changer de couleur, au fil des situations. (Ce dispositif accueille aussi la pièce d’Éric-Emmanuel Schmitt, mise en scène par Paul-Émile Fourny dans la foulée des représentations de l’opéra, avec Hugo Becker et Pierre Rochefort.)

Dans la fosse, Daniel Kawka dirige, avec un mélange de précision et d’intensité, un orchestre nombreux, mais intelligemment disposé (une harpe est dans une loge, côté jardin, des percussions dans une autre loge, côté cour). Il rend claire l’orchestration touffue de Patrick Burgan. Il parvient aussi à intégrer au tissu musical les apparitions, tout à coup désarmantes de simplicité, du thème des Variations Enigma d’Elgar, qui figurent l’absente – laquelle, paradoxalement, est présente par un chœur de femmes qui, à la fin, nous rappelle la beauté du mystère de l’amour, qu’il soit vécu dans les lettres ou dans la chair des hommes.

CHRISTIAN WASSELIN


© Opéra-Théâtre Eurométropole de Metz/Luc Bertau

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