Salle Garnier, 25 janvier
Donna Fiorilla appartient au répertoire de Cecilia Bartoli, depuis qu’elle l’a enregistrée pour Decca, en 1997, avec Riccardo Chailly. En vingt-cinq ans, son approche n’a pas changé de tonalité ou pris une ride. Elle incarne l’héroïne d’Il Turco in Italia essentiellement sur le versant burlesque, dans le genre « fofolle », et y ajoute une petite tendance à jouer les viragos, avec une évidente délectation.
Vocalement, dans ce rôle de soprano, c’est plutôt dans les demi-teintes de son air serio du deuxième acte, ou lorsqu’elle caresse Don Geronio dans son numéro de séduction du premier – avec l’ajout d’une magnifique cadence de son cru –, que sa musicalité s’épanouit pleinement. Car, dans son entrée, sa vocalise mécanique et un peu sèche manque singulièrement de charme. Il n’importe, sa personnalité généreuse et son plaisir évident de jouer emportent l’adhésion. Cecilia Bartoli reste la grande triomphatrice de cette nouvelle production de l’Opéra de Monte-Carlo.
Autour d’elle, la distribution ne démérite pas. Remplaçant Ildar Abdrazakov, initialement annoncé, Adrian Sampetrean offre à Selim un timbre de baryton-basse généreux, encore qu’un peu limité dans l’extrême grave, mais très séduisant, malgré le traitement assez sommaire de son personnage de matamore. Nicola Alaimo a toute l’ampleur vocale voulue, pour dessiner un Don Geronio qui grandit au fil des scènes et passe, finalement, du statut de cocu ridicule à celui de mari autoritaire, jouant avec talent de l’autodérision.
Au Don Narciso quasi clownesque de Barry Banks, on reconnaîtra, malgré une certaine usure du timbre, une technique impressionnante, tant dans la vocalise que dans la projection. Josè Maria Lo Monaco est une agréable Zaida, et Giovanni Romeo, un Prosdocimo efficace. Enfin, David Astorga fait entendre une voix souple, au timbre acidulé, dans l’air d’Albazar.
Tout irait pour le mieux si, dans la fosse peut-être trop profonde de la Salle Garnier, l’ensemble Les Musiciens du Prince-Monaco ne laissait une curieuse impression d’inconsistance, comme si les instruments d’époque ne parvenaient pas à s’imposer, avec des cordes floues et des bois aigrelets, où surnage de temps en temps, dans une masse atone, le pianoforte de Luca Quintavalle. Cet orchestre fantomatique, dirigé avec beaucoup de vivacité par Gianluca Capuano, laisse les voix à nu et ne les porte guère, sauf quand les interprètes viennent chanter sur le praticable à l’avant de la fosse.
La production, fondamentalement illustrative, joue du « théâtre dans le théâtre », avec un clin d’œil, en première partie, au cinéma muet à travers deux saynètes filmées, amusantes, mais d’une pertinence discutable dans ce contexte. Jean-Louis Grinda situe la pièce sur un plateau vide, derrière le rideau de fer. Un tapis roulant y amène et remporte les personnages dans une attitude figée, tandis que quelques toiles peintes, dont un remarquable trompe-l’œil pour le tableau de l’auberge, viennent régulièrement créer les lieux de l’action, telle que se la représente Prosdocimo à l’avant-scène.
De magnifiques costumes « Belle Époque », dont au moins quatre ou cinq pour la prima donna, quelques beaux effets de vidéo et un diorama animé, avec une éruption du Vésuve sur la baie de Naples, dans les dernières scènes, complètent cette production aussi luxueuse que colorée.
ALFRED CARON