Adèle Charvet : Teatro Sant’Angelo
1 CD Alpha Classics ALPHA 938
Le XVIIIe siècle italien n’en finit pas de dévoiler ses richesses musicales. La preuve ? Sur les dix-sept plages de cet album, gravé en studio, en février 2022, douze sont consacrées à des inédits. Toutes mettent à l’honneur le Teatro Sant’Angelo de Venise, ouvert en 1677. Plus marginal que de grandes institutions, comme le fameux Teatro San Giovanni Grisostomo, il était aussi plus inventif, en dépit de moyens réduits.
Parmi ses principaux fournisseurs de partitions figurait Antonio Vivaldi, qui en fut, un temps, l’imprésario, avec son père Giovanni Battista. D’Orlando finto pazzo (1714) à Meraspe (1739), le compositeur y fit représenter treize opéras et quatre « pasticci ». Autres musiciens sollicités : Michelangelo Gasparini, dont Rodomonte -sdegnato fut créé la même année qu’Orlando finto pazzo, Giovanni Porta, Fortunato Chelleri et Giovanni Alberto Ristori.
Nul doute que les nombreuses productions présentées sur les scènes vénitiennes de l’époque n’aient eu pour but d’attirer le public, et de lui plaire. Séduire en musique, tous savaient le faire, à commencer par Vivaldi. D’où une créativité qui, derrière sa science et l’usage de procédés qui ont fait leurs preuves, compte sur le charme immédiat des lignes mélodiques et la virtuosité des airs, sans se soucier de ménager les interprètes.
Passion, fureur, douleur, extase… Dans des livrets ignorant la vraisemblance, l’amour est présent sous toutes ses formes. Tendresse chez Gasparini (« Il mio crudele amor » de Rodomonte sdegnato). Remords douloureux (« Aspri rimorsi » dans Temistocle), puis mélodie ondulante et langoureuse (« Nell’onda chiara » dans Arianna) pour Ristori. Agitation virtuose (« Astri aversi ») dans Amalasunta) pour Chelleri.
Quant à Vivaldi, il est sur tous les fronts : formidable « Siam navi » (L’Olimpiade), énergique et tourmenté, parsemé de vocalises et notes piquées ; « Con più diletto » (La verità in cimento), d’une fraîcheur juvénile ; et, plus encore, «Sovvente il sole » – exception dans un récital composé de pages relativement courtes, ce fragment d’Andromeda liberata dure près de dix minutes.
Comment résister à la voix d’Adèle Charvet, homogène sur toute l’étendue du registre, soutenue par une maîtrise absolue du souffle, au timbre chaleureux, sensuel, charnu dans les notes les plus graves ? Inutile de dire que la technique est à la hauteur, lui permettant de négocier avec aisance les difficultés les plus ardues, sans jamais donner une impression d’effort et avec un goût irréprochable. Grâce à un jeu de nuances d’une grande variété, la mezzo-soprano française évoque les sentiments les plus divers.
L’ensemble Le Consort, dont on a maintes fois vanté l’excellence, est dirigé, cette fois, par Théotime Langlois de Swarte, qui en est aussi le violon solo (la « serenata » vivaldienne lui offre l’occasion de montrer son grand talent).
Hommage à un théâtre depuis longtemps disparu, à des musiciens dont l’un jouit désormais d’une popularité que personne n’aurait osé imaginer, cet enregistrement flamboyant est, en même temps, le manifeste d’une jeunesse musicale française, dont l’épanouissement est un vrai bonheur.
MICHEL PAROUTY
Retrouvez notre entretien avec Adèle Charvet.