Opéras Tristan épuré et intense à Bayreuth
Opéras

Tristan épuré et intense à Bayreuth

02/09/2022
© Enrico Nawrath

Festspielhaus, 12 août

Montée en sept mois, cette nouvelle production, la deuxième du Festival, cet été, renvoie à l’esthétique du « Nouveau Bayreuth » de Wieland Wagner, notamment les costumes intemporels de Gabrielle Rupprecht. Le metteur en scène allemand Roland Schwab ne cherche ni à disséquer, ni à réécrire, l’immense oratorio de l’amour qu’est Tristan und Isolde. Épuré et intense, il préfère nous plonger dans un bain visuel d’une singulière efficacité.

Le décor de Piero Vinciguerra est, à la fois, vaisseau spatial et monde restreint. Une grande ouverture sur le ciel permet d’y projeter le flux des nuages et la nuit étoilée. Les images, sans cesse en mouvement, épousent chaque vague du discours musical. Au centre de la scène, une seconde brèche elliptique ouvre sur les flots marins d’un bleu émeraude, où tout est également mouvement et symboles.

Le désir de vengeance d’Isolde est traduit par des sources de sang, se mêlant peu à peu au bleu de la vie. Puis, lorsque le philtre agit, les flots se transforment en un vortex où s’engloutissent les amants. Le travail vidéo de Nicol Hungsberg épouse chacune des métamorphoses harmoniques. La nuit de l’amour est un intense voyage galactique. Tombant des bords de l’ellipse supérieure, une luxuriance de trembles et de saules croît progressivement.

Autant d’images fortes qui renvoient à une légende païenne. À jardin, des lettres de néon rouge. Ce pourrait être des runes, ou une écriture extra-terrestre. Il s’agit du mot « éternité », en sanscrit. Il renforce l’universalité d’un mythe que Roland Schwab place sous le signe d’Ovide et de Philémon et Baucis, cette ode à la fidélité durant les âges de la vie. Trois couples, des enfants pour l’acte I, de jeunes adultes pour le II et des vieillards pour le III, viennent poétiquement ponctuer l’évolution du drame.

Cette intense célébration a été conçue pour le confort des interprètes, qui bénéficient de l’effet de conque du décor et viennent souvent chanter au plus près de l’abîme mystique. Tout le contraire du funeste éloignement adopté durant le Ring !

Dès les premières imprécations d’Isolde, Catherine Foster impose la vaillante maturité de son timbre. Colérique et déchirée, elle donne tout, voire trop, car son « Liebestod » s’en ressentira, trop idiomatique avec des problèmes de souffle. L’insolence et l’endurance vocales se trouvent chez Ekaterina Gubanova, dont le mezzo rutilant n’est pas sans rappeler Christa Ludwig en Brangäne.

Marke convient au timbre sage et à la présence bienveillante de Georg Zeppenfeld. Sans démériter, le Kurwenal de Markus Eiche n’imprime pas son rôle et le Melot d’Olafur Sigurdarson s’avère sans nuances. Quant à Stephen Gould, il montre, à présent, d’inquiétants signes de fatigue vocale et de crédibilité. Mais cumuler, à 60 ans, Tristan, Tannhäuser et Siegfried (Götterdämmerung), le même été, n’est-ce pas déraisonnable ?

Remplaçant Cornelius Meister, désormais en charge du Ring, le chef allemand Markus Poschner offre une lecture nerveuse et dynamique, en adéquation avec des visuels stimulant l’imaginaire de chacun, en le touchant au plus intime.

Message pleinement reçu, vu l’enthousiasme au moment des saluts.

VINCENT BOREL


© Enrico Nawrath

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