Le Santa Fe Opera n’avait jamais affiché Tristan und Isolde. Premier atout de cette création in loco : la direction musicale de James Gaffigan. À la tête d’un orchestre à l’effectif réduit, mais parfaitement préparé, le chef américain s’éloigne d’une certaine tradition de tempi lents et solennels, illustrée par Wilhelm Furtwängler et Daniel Barenboim. Son Wagner sonne davantage comme du Weber, voire du Mendelssohn (une comparaison que le compositeur aurait très certainement détestée !).
Dans le beau décor abstrait dessiné par la compagnie Charlap Hyman & Herrero, avec le concours des lumières joliment tamisées de John Torres et des vidéos de Greg Emetaz, Zack Winokur et Lisenka Heijboer Castañon cosignent une sobre mise en scène, dans laquelle chaque geste fait mouche. Brillant danseur et chorégraphe, le premier a certainement contribué à la fluidité des mouvements des chanteurs, notamment dans un duo d’amour doté d’une vraie charge érotique.
Nous attendions beaucoup des débuts de Tamara Wilson en Isolde et nous n’avons pas été déçu. Vocalement rayonnante, avec de splendides si aigus et contre-ut, et un contrôle souverain du legato, la soprano américaine ne trahit aucune faiblesse dans ce rôle éprouvant. Mieux, elle en offre une incarnation subtilement détaillée, en mettant constamment son chant au service du texte.
Si la variété des couleurs dans le timbre n’est pas la qualité première de Simon O’Neill, le ténor néo-zélandais n’en campe pas moins un Tristan plus que respectable, avec une endurance, une musicalité, une justesse dans les attaques qui forcent le respect. On s’étonne davantage de ses cheveux gris, qui vieillissent le personnage, et d’un costume le faisant ressembler à Bibendum, le célèbre Bonhomme Michelin.
Le reste de l’équipe est américain. Jamie Barton interagit magnifiquement avec Tamara Wilson, comme avec Simon O’Neill. Sa Brangäne, déployant les riches ressources vocales attendues, s’impose aussi par sa manière de mettre en valeur les mots. Eric Owens, pour sa part, fait passer ce mélange d’affection blessée et de dignité offensée qui constitue le cœur du monologue de Marke.
Très aimé au Santa Fe Opera, où il a été formé, le baryton-basse Nicholas Brownlee déborde de santé vocale en Kurwenal. Dommage qu’il ne contrôle pas davantage des moyens aussi prometteurs !
Les stagiaires du Festival forment un chœur plein de fraîcheur, sous la direction de Susanne Sheston. Cet été, ils se sont moins distingués à titre individuel, même si l’on n’est pas près d’oublier le Jeune Marin du ténor Jonah Hoskins, chantant avec d’envoûtantes sonorités plaintives depuis un balcon.
Au bilan, l’une des plus grandes réussites récentes du Santa Fe Opera.
DAVID SHENGOLD