Opéras Très grand Triptyque à Salzbourg
Opéras

Très grand Triptyque à Salzbourg

01/09/2022
© Salzburger Festspiele/Monika Rittershaus

Grosses Festspielhaus, 9 août

Longtemps réticent à Puccini, Christof Loy s’est attaqué de front aux différents problèmes d’Il trittico, donné pour la première fois au Festival, et dont il livre dans le programme de salle une analyse approfondie. Révolution majeure : Suor Angelica, qu’il juge le sommet qualitatif de l’ensemble, est placé en fin du parcours qui conduit de l’Enfer au Paradis, selon l’inspiration initiale du compositeur dans la Divine Comédie de Dante. Pas de décor unique, pourtant, mais une même interprète pour Lauretta, Giorgetta et Angelica, couronnant le tout par son long monologue terminal.

Gianni Schicchi est donc le premier à bénéficier des très beaux et intelligents décors d’Etienne Pluss, comme des éclairages soigneusement élaborés de Fabrice Kebour. Christof Loy y organise une action mouvementée, avec le brio inlassable qu’on lui connaît, dans une lecture très fidèle du livret, qui paraîtrait même presque convenue (pour la recherche fébrile du testament, par exemple). Mais l’ensemble est glorieusement mené par le puissant Schicchi de Misha Kiria, dont l’assurance faussement bonhomme d’un plébéien madré, bien caractérisée aussi par le costume de Barbara Drosihn, fonctionne à merveille.

Avouons une petite déception pour les deux jeunes héros. Alexey Neklyudov campe un  ardent Rinuccio, mais trop peu nuancé, avec une légère acidité de timbre. Quant à Asmik Grigorian, elle se ménage, peut-être, pour un « O mio babbino caro » qu’on attendait plus somptueusement déployé ; l’artiste indique, elle-même, avoir adapté ses moyens pour équilibrer les trois rôles, qu’elle aurait chantés différemment séparément.

Parmi les nombreux comprimari, on distinguera Enkelejda Shkosa, qui donne une Zita musclée de tout premier ordre. À la direction de Franz Welser-Möst, on aurait souhaité aussi une plus piquante alacrité, et même aux Wiener Philharmoniker, marquant sans doute le fait qu’ils n’ont pas joué l’œuvre à Vienne depuis environ une trentaine d’années !

Il tabarro rompt, plus heureusement, avec une trop lourde tradition de noirceur appuyée. Jolie péniche complète, côté cour, mais boîte scénique fermée, d’abord très lumineuse, dans un complet irréalisme, qui voit débarqué sur le quai un mobilier de salon, dont le canapé servira utilement les duos de la seconde partie et les replis méditatifs de Giorgetta.

Et, surtout, étonnant ballet de figurants à travers tout le plateau, dans la première partie : une autre forme de « réalisme poétique », qui sert particulièrement bien les évocations nostalgiques de la vie parisienne rêvée par l’héroïne, avant un assombrissement progressif, jusqu’à la sauvagerie du meurtre final, admirablement réglé.

Un trio de toute première force suscite, cette fois, l’enthousiasme, Asmik Grigorian ayant ici la possibilité de composer un personnage complexe particulièrement attachant, entre le Michele méfiant et autoritaire, sans caricature, de Roman Burdenko et le splendide Luigi de Joshua Guerrero, au timbre chaleureux et bronzé, et vigoureux acteur. Franz Welser-Möst et son orchestre sont aussi à leur avantage dans la respiration plus large de la partition.

Suor Angelica marque une nouvelle gradation, dans son décor dépouillé mais soigneusement médité, non moins que les éclairages, avec une unique pièce, à la fois réfectoire et parloir, dont la petite porte, décalée côté jardin, laisse entrevoir une échappée sur la lumière du cloître, tandis qu’une fenêtre latérale haut placée permettra la descente du rayon de transfiguration du final.

Avec les sobres costumes de religieuses, Christof Loy y conduit, cette fois, le ballet subtilement réglé de la vie du couvent. Surtout, il construit, avec le plus grand art, l’entrevue dramatique d’Angelica avec sa tante, la Princesse, faisant alterner savamment pour l’héroïne concentration intérieure et explosion de désespoir, puis de révolte, dans ce qui est, peut-être, la plus impressionnante scène vue, cet été, au Festival.

Il est vrai que Karita Mattila, avec des moyens qui restent plus qu’honorables, impose une Princesse de haute volée, redoutable et fragile à la fois, en face d’une Asmik Grigorian exceptionnelle tragédienne, et en sa plus belle voix, bouleversante, déchirante même. Et les incomparables cordes des Wiener Philharmoniker paraissent bien les plus aptes à l’enchaînement des demi-teintes de la partition.

Un très grand moment de théâtre et de chant, dont on espère qu’il passera sans déperdition à l’Opéra National de Paris, coproducteur.

FRANÇOIS LEHEL


© Salzburger Festspiele/Monika Rittershaus

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