Opéras Toulouse fait un triomphe à Britten
Opéras

Toulouse fait un triomphe à Britten

09/06/2023
© Mirco Magliocca

Théâtre du Capitole, 23 mai

Prévue en octobre 2020 – en plein deuxième confinement –, cette production de The Rape of Lucretia aura dû attendre deux ans et demi pour voir le jour. À Toulouse, après Norma, en 2019, Anne Delbée continue à explorer la tragédie et les méandres du désir à travers la figure de Lucretia, patricienne romaine dont le suicide, suite au viol par le prince étrusque Tarquinius, sonnera le glas de la royauté et marquera l’avènement de la république. Avec virtuosité, Anne Delbée entremêle le drame historique et la dimension christique – introduite par le librettiste à la demande expresse du compositeur –, en parsemant le spectacle de références religieuses.

Ainsi, au premier tableau, la grande table, où festoient les Romains, n’est pas sans évoquer une Cène baroque, et plus tard, après le viol, apparaîtra, telle une voile se levant, le Suaire de Turin, affichant la face du Christ crucifié. Car, tout au long de la soirée, Anne Delbée file la métaphore du bateau naufragé, tragique symbole de notre humaine condition, le mât devenant la croix du supplice, mais aussi de la rédemption.

Un choix qui peut sembler étrange, s’agissant d’une œuvre à l’action éminemment terrienne, entre le camp militaire masculin, d’un côté, et l’espace féminin de la maison de Lucretia, de l’autre, avec, entre les deux, la folle chevauchée de Tarquinius. Mais on ne niera pas la beauté, ni la force de certains tableaux, en particulier la lente avancée de Lucretia depuis le fond, pour se confesser à son époux, placé en avant-scène et lui tournant le dos, sur le sublime solo de cor anglais.

Car un des grands mérites de cette mise en scène, plus allégorique que réaliste, est de se montrer profondément musicale, sachant pouvoir s’appuyer sur la direction d’une grande clarté de Marius Stieghorst. Du piano, le chef allemand tend l’arc dramatique avec une implacable rigueur et une fluidité remarquable dans les enchaînements, tirant de son ensemble de chambre (douze instrumentistes, issus de l’Orchestre National du Capitole) des couleurs et des ambiances très contrastées.

Le plateau est de qualité, dominé par Cyrille Dubois, très sollicité par la mise en scène, non pas narrateur extérieur, comme le voulait Britten, mais personnage central de l’histoire. Le ténor se montre très sûr, en dépit de vocalises un peu savonnées, et constamment éloquent, même avec un léger accent français.

Son pendant féminin est davantage cantonné dans le statisme : Marie-Laure Garnier impressionne par son soprano opulent et puissant, même si l’anglais paraît plus embarrassé et si l’aigu sonne parfois un peu dur, avec une tendance à couvrir son partenaire dans leurs quelques passages en duo.

Parfaitement assorties, au contraire, sont Bianca et Lucia, entre le riche mezzo de Juliette Mars, nourrice plus autoritaire que maternelle, et le soprano aérien de Céline Laborie. Agnieszka Rehlis pare Lucretia de sa voix de bronze et de sa présence magnétique, aussi véhémente dans l’affrontement avec Tarquinius que glaçante dans son accès de folie, le matin qui suit le viol, avant de retrouver toute sa dignité pour la scène finale.

Face à elle, Dominic Barberi incarne, de sa belle basse enveloppante, un Collatinus tour à tour tonnant ou tendrement compatissant. Baryton mordant et sonore, Philippe-Nicolas Martin traduit bien toute l’ambiguïté de Junius : malade de jalousie, il pousseTarquinius à assiéger la vertu de Lucretia, puis prend prétexte de ce crime pour appeler à la révolution et accéder au pouvoir.

Enfin, déjà Tarquinius à Glyndebourne, en 2015, Duncan Rock prête au prince étrusque – ici moins violent prédateur qu’instrument du drame – sa prestance, ainsi que son baryton incisif et ductile. On regrette, cependant, que la scène du viol, très stylisée en des habits d’apparat et des postures hiératiques, ne profite pas davantage de l’impact de son impressionnante carrure.

Une belle entrée, toutefois, au répertoire du Théâtre du Capitole d’une œuvre encore assez peu montée, accueillie avec enthousiasme, en cette première, par une salle plutôt bien remplie.

Thierry Guyenne


© Mirco Magliocca

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