Grand Théâtre, 23 janvier
Rarement une reprise confirme autant la parfaite réussite d’une production. Travail d’une équipe soudée au service de l’œuvre, la mise en scène de Thaïs par Jean-Louis Grinda, créée à l’Opéra de Monte-Carlo, en janvier 2021 (voir O. M. n° 170 p. 42 de mars), pourrait s’appeler « la connaissance de soi à l’épreuve du miroir ».
Rarement le recours à la vidéo paraît aussi justifié. Les sobres décors et lumières de Laurent Castaingt, les costumes conçus par Jorge Jara suffisent à restituer la tragédie, loin de toute reconstitution aux prétentions exotiques. La chorégraphie d’Eugénie Andrin, la vidéo de Gabriel Grinda viennent dédoubler ce drame en ce qu’il faut considérer comme une véritable réflexion.
Cette reprise s’ordonne autour de la direction experte et fervente de Michel Plasson, aujourd’hui âgé de 88 ans. Heureux public tourangeau : il redécouvre Thaïs sous la baguette d’un chef qui suivit l’enseignement du légendaire Pierre Monteux… et offrit, à l’Opéra Bastille, en janvier 2010, le mémorable Werther où s’illustraient Jonas Kaufmann et Sophie Koch ! Michel Plasson, grand serviteur de la musique française, révèle le passage subtil qui mène de Massenet à Debussy.
Chloé Chaume, très élégante dans sa fluide robe vert d’eau, est une séductrice habitée par le doute et la recherche de l’absolu ; elle joue remarquablement de la dualité qui conduit Thaïs à la rédemption. Brillante dans l’air « du miroir », étincelante dans la scène finale, sa voix longue et homogène n’apparaît jamais en difficulté.
André Heyboer fait preuve d’une vaillance sans grandiloquence, que sa sensibilité exprime en une déclamation parfaite. Athanaël est avec lui une figure profondément pitoyable, plutôt qu’un stentor à effet. En Nicias, Kévin Amiel campe un jeune noceur cynique, qu’effleure cependant la nostalgie.
Comme à Monte-Carlo, la basse noble de Philippe Kahn évite le prêchi-prêcha ordinaire du vieux Palémon. Hagar Sharvit incarne une digne Albine. Le duo formé par Anaïs Frager et Valentine Lemercier apporte sa touche de couleur et son brio, tandis que Jennifer Courcier triomphe des vocalises abruptes de la Charmeuse.
Le Chœur de l’Opéra de Tours, préparé par son tout nouveau chef David Jackson, participe a bocca chiusa à l’admirable « Méditation ». Tiphaine Gaigne, premier violon solo, et le subtil Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours en délivrent la poésie.
Le public reconnaissant acclame le maître d’œuvre, Michel Plasson.
PATRICE HENRIOT