Opéra, 15 octobre
Né l’année de La Guerre des étoiles (Star Wars : A New Hope, 1977), David Hermann, pour cette nouvelle coproduction entre l’Opéra de Lyon et le Teatro Real de Madrid, a choisi de placer le Moyen Âge wagnérien sous le signe du futur. On sait le metteur en scène franco-allemand avide de références audacieuses, et ses notes d’intention, livrées avec le programme de salle, transforment l’œuvre en un affrontement entre robots et humains.
Durant la « Bacchanale » apparaît d’abord l’hologramme d’un droïde, dont se découvrent les entrailles technologiques. Puis le rideau se lève sur un monde circulaire, où règne la déesse Venus – ou plutôt, une « intelligence artificielle », à laquelle tout est soumis. Irene Roberts, le crâne rasé, ses formes sculpturales gainées de capteurs, veille sur Stephen Gould, Tannhäuser vêtu comme un maître Jedi.
Nous sommes rapidement séduit par le velours de la mezzo, qu’un vibrato maîtrisé dote d’une palpitante sensualité. Elle domine le duo de la version parisienne qui, comparé à celui de Dresde, étoffe le personnage de la déité jalouse, n’ayant pas connu l’expérience de l’amour. Il n’y aura d’ailleurs pas d’affrontement entre sacré et profane, entre vice ou sainteté, seulement le désir de se frotter à l’altérité pour en dominer la crainte. L’inhumanité sera ici du côté des hommes.
La Wartburg est un clin d’œil à la planète Tatooine de George Lucas. On en retrouve la dessiccation omniprésente, l’arène sableuse destinée aux combats et même les jawas, ces malicieux nains du désert, ici incarnés par les enfants de la Maîtrise de l’Opéra de Lyon. Le Jeune Pâtre (soprano clair chantant de Giulia Scopelliti) devient un droïde qui excite la haine des chevaliers, soumis à un pape semblable au répugnant empereur de la saga Star Wars.
Chacun se trouve valorisé par l’impressionnant décor de Jo Schramm, immense miroir, dont les reflets déformants évoquent le four solaire d’Odeillo dans les Pyrénées-Orientales. La forme concave accentue la projection des voix et la spatialisation des entrées et sorties, notamment pour le chœur qui prend plaisir à nous exalter avec les pages les plus brillantes de la partition.
Dans « Dich, teure Halle », l’Elisabeth de Johanni van Oostrum donne tout, sans doute trop vite, car la suite met en tension un aigu acide et instable. Christoph Pohl est un Wolfram émouvant, mais qui ne quittera guère les rives de l’intime. Si on applaudit à la vaillance et au métier de Stephen Gould, remplaçant Simon O’Neill dans le rôle-titre, le chant est constamment projeté avec effort. Les couleurs sont désormais passées, et les nuances impossibles à délivrer. Enfin, on distinguera la basse tonnante de Liang Li en Hermann.
En fosse, Daniele Rustioni dirige très allegro une partition dont on redécouvre les subtilités contrapuntiques, qu’une direction plus crémeuse aurait oblitérées. Dans l’espace acoustique de la salle lyonnaise, à l’amplitude assez réduite, avoir privilégié le fruité des vents illumine ce Tannhäuser juvénile, en parfaite adéquation avec la vision optimiste de David Hermann.
Ne voulant plus, pour 2022, du sacrifice opéré par la femme sainte et martyre, nous sommes convié à la réconciliation de l’homme et de la machine. Au dernier tableau, Venus et Elisabeth viennent offrir à l’humanité le sabre laser du Jedi. Refondé par les femmes, l’instrument des guerres passées devient outil de connaissance et de paix.
L’accueil enthousiaste des jeunes et moins jeunes achève de prouver que ce « space opera » romantique, certes remodelé, a trouvé son public.
VINCENT BOREL