Opéras Somptueux Doktor Faust à Florence
Opéras

Somptueux Doktor Faust à Florence

09/03/2023
© Maggio Musicale Fiorentino/Michele Monasta

Teatro del Maggio, 7 février

Doktor Faust est le testament apocalyptique d’un compositeur visionnaire, le point culminant d’une vie d’artiste. L’auteur (livret et musique) de cet opéra on ne peut plus singulier, imprégné de gigantisme post-romantique, mais sans une seule goutte de décadentisme, n’est pas le Ferruccio Busoni virtuose du piano, ni l’apôtre moderne de Jean-Sébastien Bach. C’est un autre musicien, cyclopéen certes, insensible aux limites humaines (en l’occurrence, principalement celles des voix), mais conscient de la fragilité de chaque individu.

Son Faust, en effet, syncrétisme de toutes les incarnations littéraires et théâtrales du personnage, est un faible, un être peu sûr de lui-même, ébranlé par un narcissisme disproportionné, comme par la douloureuse tension induite par son incapacité à atteindre l’idéal. Surtout, c’est un homme qui souffre d’avoir conscience de sa propre finitude, comme Busoni, d’ailleurs, qui mourut à l’âge de 58 ans, en 1924, sans avoir terminé cette partition prétentieuse, mais pas arrogante, sur laquelle il travaillait depuis la fin de la Première Guerre mondiale. L’ouvrage fut achevé par son élève, Philipp Jarnach, puis créé, le 21 mai 1925, à Dresde, sous la baguette de Fritz Busch.

La nouvelle production du Teatro del Maggio Musicale Fiorentino ramène Doktor Faust sur la terre natale de son auteur (originaire d’Empoli, à une vingtaine de kilomètres au sud de Florence) et dans le théâtre où il fut représenté, pour la première fois, en Italie, en 1942, sous la baguette de Fernando Previtali. À l’époque, le livret avait été traduit ; cette fois, l’opéra est donné dans l’original allemand.

Le spectacle imaginé par Davide Livermore, avec son équipe habituelle de collaborateurs, est somptueux, illustrant le triomphe des techniques cinématographiques appliquées à l’opéra, quand elles épousent les raisons et le contenu de la musique. Les perspectives projetées sur le « LED Wall » amplifient, jusqu’à l’infini, la profondeur du plateau, qui change constamment d’aspect, comme à travers le filtre d’une lanterne magique du futur.

L’immense bibliothèque de Faust, avec son oculus ouvert sur le ciel, est parcourue par la tempête et finit par prendre feu, avant de se transformer en hangar, en igloo et en souterrain. Ensuite, elle devient morgue pour les victimes de la Première Guerre mondiale et salon de réception des « Années folles ». À la fin, apparaît un crucifix blasphématoire, orné d’un Christ féminin, à la poitrine dénudée. Aucune once de prétention dans la magnificence visuelle, avec laquelle le cinéphile Davide Livermore submerge le public (plutôt clairsemé, en cette soirée de première).

La prédominance des vidéos du collectif D-Wok, un maître en la matière, n’exonère pas le metteur en scène italien d’un véritable travail sur la psychologie des personnages. Le spectacle ne se réduit jamais à des effets spéciaux prodigieux et à de stupéfiants jeux de lumière – réglés par Fiammetta Baldiserri, ils vont du rouge ardent à un bleu ciel à couper le souffle, quand Faust s’envole dans les airs sur un piano, en compagnie de la Duchesse de Parme.

Bien au contraire, Davide Livermore utilise toutes ces ressources techniques pour amplifier l’hallucination impulsive, frémissante, déchaînée de la partition, jouée avec son introduction parlée, entre la « Symphonie » et le « Prologue I ». Le Poète (Busoni, lui-même), philosophant de manière assez fumeuse, y parcourt les différentes étapes du processus de création de son opéra. Cette introduction, ici, est confiée à des voix enregistrées et superposées avec, en fond sonore, la gravure de La campanella de Liszt, réalisée par le compositeur-librettiste.

Ce spectacle est, de surcroît, un véritable travail d’équipe, où tout le monde partage la même vision de Doktor Faust. Ainsi des forces du Teatro del Maggio, chorales notamment, d’une solidité granitique, et de la direction musicale du chef allemand Cornelius Meister, splendide musicien qui domine la structure complexe de l’ouvrage, sans en négliger la clarté et les élans expressionnistes.

Davide Livermore demande régulièrement aux chanteurs de se couvrir le visage d’un masque reproduisant les traits de Busoni, pour souligner à quel point celui-ci a mis une partie de lui-même dans chacun des personnages. C’est le cas de Faust, incarné par Dietrich Henschel, à l’ego tellement surdimensionné qu’il vend son âme à Mephistopheles sans la moindre crainte. Un pacte scellé par un baiser sur la bouche entre les deux hommes.

Le baryton allemand, dont on connaît le talent de chanteur-acteur, campe un Faust fébrile, agité de mouvements spasmodiques et psychologiquement fragile. Il souffre, certes, dans cette écriture vocale périlleuse, mais son adhésion au rôle est telle que la difficulté, chez lui, se transforme en atout théâtral.

Malgré deux aigus dramatiquement fissurés dans le « Prologue II », le ténor américain Daniel Brenna se tire bien de Mephistopheles, incarné avec autant de malice que de détachement. Soprano à la pulpe straussienne, l’Ukrainienne Olga Bezsmertna est une excellente Duchesse de Parme ; quant au Libanais Joseph Dahdah, il affiche des moyens éclatants dans le Duc. Les voix des trois Étudiants de Cracovie, en revanche, peinent à passer la muraille sonore qui surgit de la fosse.

GREGORIO MOPPI


© Maggio Musicale Fiorentino/Michele Monasta

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