Opéra Bastille, 26 janvier
Nouvelle reprise pour cette très belle production, créée à l’Opéra Bastille, en 2001 (voir, en dernier lieu, O. M. n° 82 p. 62 de mars 2013). Seul avatar de dernière minute : le remplacement de l’Emma d’Olga Busuioc par la charmante soprano arménienne Anush Hovhannisyan.
On apprécie toujours le travail très respectueusement élaboré d’Andrei Serban : s’il n’évite pas certaines baisses de tension – en partie dues à l’œuvre même –, son intelligente direction d’acteurs permet de faire passer les moments plus ingrats ; et, à l’aide de ses beaux décors et costumes, bien éclairés, elle accompagne très efficacement la montée dramatique, pour culminer dans un dernier acte de toute beauté et chargé d’émotion.
Un splendide plateau justifie, aussi, l’enthousiasme final de la salle. On n’en est certes pas à découvrir l’ébouriffant mezzo d’Anita Rachvelishvili, mais l’artiste est plus rare en Marfa : stupéfiante par la puissance, la longueur et la largeur de la voix, comme par la maîtrise de la ligne et l’intériorisation du personnage. Très impressionnant encore, le Dossifeï de Dmitry Belosseslkiy, quasi idéal pour sa basse vraiment profonde et des ressources inépuisables, jusqu’à ses solennelles invocations terminales.
Non moins séduisants, la basse plus claire mais puissante de l’Ivan Khovanski de Dimitry Ivashchenko, qui incarne remarquablement cette personnalité complexe, vélléitaire et tourmentée, et le ténor de son fils Andreï, avec le timbre mordant et l’incisive présence en scène de Sergei Skorokhodov, notamment dans ses imprécations de la fin du IV.
En très bonne voix, vigoureusement projetée, John Daszak donne un attachant Golitsine, finement nuancé dans les incertitudes de sa noblesse promise à la chute, tandis que Gerhard Siegel (engagé sans compter, jusqu’à un saignement de nez non prévu, au I !), campe magistralement un de ces personnages bondissants dont il est familier.
Seule minime réserve pour le Chaklovity d’Evgeny Nikitin, qui fatigue sensiblement dans son long air du III. Avec la solide Susanna de Carole Wilson, il faut, enfin, faire une place à part au Kouzka de Vasily Efimov, seul reconduit de la reprise de 2013, qui crève l’écran, avec son étonnant maquillage, sa gestique habilement dégingandée et sa voix de fausset percutante dans la « Ballade » du III.
Après quelques petits décalages vite résorbés, Hartmut Haenchen tient parfaitement un ensemble qui achève de briller par des Chœurs et un Orchestre de l’Opéra National de Paris superlatifs, eux aussi acclamés pour ce retour réussi de l’œuvre rare.
FRANÇOIS LEHEL