Festspielhaus, 18 & 20 août
Ring de Valentin Schwarz, dernier feu. Il s’effacera – sans regret – pour laisser la place en 2026, pour les 150 ans du festival et de l’œuvre, à une nouvelle production générée par l’IA, dirigée par Christian Thielemann, où Klaus Florian Vogt chantera Loge, Siegmund et les deux Siegfried ! Pour le présent, on renverra pour l’impression première à 2022 (voir O. M. n° 186 p. 26 d’octobre) et à la critique du Prologue et de la Première Journée que signait Lionel Esparza l’été dernier (voir O. M. n° 206 p. 44 d’octobre 2024). Voisins de siège, on avait partagé le même ennui, né tout ensemble de la scène et de la fosse. Pas de changements notoires pour la seconde partie cet été.
Sur le plateau, la volonté de traiter le récit « tétralogique » en saga familiale façon sitcom TV, abandonne dès Siegfried son efficacité en livrant les acteurs aux poncifs les plus éculés de la scène lyrique. Et si le parti d’afficher cette narration en indépendance du récit wagnérien demeure depuis quatre ans le « projet en soi » de ce Ring, le hiatus, énervant, atteint à l’exaspérant à l’acte III de Götterdämmerung qui laisse tout partir à vau-l’eau. Comprenne qui pourra à un finale béant de vacuité, et d’incapacité à s’affronter au monument wagnérien, hors l’assassinat de Siegfried par son cousin Hagen, qui seul peut s’inscrire dans la saga Schwarz. Effectivement, que viendrait y faire l’anéantissement du monde ? Retour alors aux deux fœtus des frères antagonistes au ventre de leur mère. On confirme, ce fut bien la production la plus « emmerdante » qu’on ait croisée à Bayreuth en cinquante-huit ans.
La fosse reste un mystère : le public fait fête à Simone Young, qui certes propose une lecture sans défaut de la partition, mais n’a rien à y raconter en sus. Les préludes et interludes sont d’une platitude insigne, le flux courant du discours est sans valeur ajoutée, comme si l’orchestre – vecteur premier de l’action selon Wagner – n’était qu’une toile de fond lointaine qui ne s’impose que pour le « Voyage sur le Rhin », et la « Marche funèbre ». On s’ennuie ferme à Siegfried, où la forge ne rutile pas, où les « Murmures de la forêt » sont sans émotion, où l’invocation d’Erda reste sans vertige. Seul Götterdämmerung offre quelques moments de tension, quand Waltraute, l’admirable Christa Mayer, gonfle grand les voiles de l’émotion, et semble contaminer l’orchestre dans son entier d’une donnée jusque-là absente. De même pour la scène des vassaux de Hagen où les chœurs de Thomas Eitler de Lint semblent prendre les rênes d’un orchestre trop sage.
La distribution, avec le peu de brio de ses premiers rôles, ne gagne pas non plus la partie. Catherine Foster, qu’on avait trouvée presque respectable dans Die Walküre en 2024, assortit à nouveau sa Brünnhilde d’un vibrato énorme, d’aigus hurlés, et d’une tendance marquée à prendre les notes par-dessous, quand ce n’est pas à les chanter franchement faux. Tomasz Konieczny, en meilleure forme que l’été dernier, offre un Wanderer qui force vite le trait en coups de gueule sonores, pour masquer les défauts d’un instrument bousculé. Des deux Siegfried pris en charge l’été dernier par Klaus Florian Vogt, on ne peut qu’admirer – même s’il commence essoufflé – une technique impeccable. Mais comme à chaque fois, on souffre de sa voix monochrome et nasale deux actes durant pour qu’il expose enfin un peu de couleurs au duo final de Siegfried, qu’il remporte haut la main en vaillance et tenue. Mais le surlendemain, il n’arrive pas à éveiller la passion ni la nostalgie, et en reste à un chant lisse et sans relief.
De fait, les bonheurs sont bien chez Mime (Ya-Chung Huang, pas trop piailleur, et très sonore), Alberich (Ólafur Sigurdarson, vipérin encore, mais taraudé par son échec), Fafner (Tobias Kehrer, dont la voix trahit une santé de fer alors qu’il agonise sur un lit médicalisé), l’Oiseau (Victoria Randem, épatante de personnalité), Erda (Anna Kissjudit, au timbre profond, à l’aigu somptueux), Waltraute (Christa Mayer, majuscule), et enfin Hagen (Mika Kares, impérial, dont la noirceur et l’autorité l’emportent sur les doutes qu’on lui fait jouer).
Et reste surtout l’ultime question : qui donc s’est pendu avec son attaché-case à la main, au plafond de la salle de sport qui domine la scène finale ?
PIERRE FLINOIS
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